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250 <strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
quable instrument d'apologétique, comme un nouveau servi<br />
teur d'une théologie traditionnelle. Descartes n'était plus un<br />
guide, mais un auxiliaire. Mais cette méconnaissance de Des<br />
cartes entraîne la méconnaissance de Spinoza. Si Spinoza reflète<br />
le nouvel athéisme d'une conscience moderne en révolte, Des<br />
cartes seul peut infléchir en un autre sens cette conscience en<br />
seul son dualisme permet la réfutation rationnelle d'une<br />
déroute;<br />
doctrine où la matière risque d'annexer la pensée. En somme,<br />
même le cartésien Lamy part d'une exigence morale qui postule<br />
la liberté de l'homme et la Providence de Dieu (1); et par là,<br />
peut-il rester fidèle au maître qui se contentait d'une morale<br />
provisoire? Mais par là aussi, dans sa lourde et indigeste réfu<br />
tation,<br />
dans le désordre consciencieux de ses méthodes contra<br />
dictoires où le cartésianisme ne craint pas de côtoyer le* plus<br />
naïfs arguments du finalisme, notre Bénédictin a produit une<br />
œuvre extrêmement caractéristique; plus que ses opinions per<br />
sonnelles, il reflète à la fois l'effort collectif et disparate des<br />
meilleurs esprits du catholicisme français et leur inquiétude pro<br />
fonde devant un rationalisme qui soudain se décide à chemi<br />
ner seul.<br />
Mais l'inquiétude chez nos cartésiens avait déjà d'autres<br />
sources. Au premier plan, des dissensions internes: Malebranche,<br />
depuis le Traité de la nature et de la grâce en 1681, poursuit<br />
parallèlement au spinozisme, bien que sans contact avec lui,<br />
une éclatante et dangereuse carrière. Bossuet, qui par l'intermé<br />
diaire de l'évêque de Castorie pousse Arnauld à l'attaque, sup<br />
pute les dangers d'un cartésianisme mal compris (2). Dans sa<br />
fameuse lettre du 21 mai 1687 au protecteur de Malebranche,<br />
M. d'Allemans, tout en se refusant au parallèle infamant de<br />
l'Oratorien et du J uif, il y a une prescience admirable du péril :<br />
«Pour ne rien vous dissimuler..., je vois un grand combat se<br />
préparer contre l'Église sous le nom de philosophie cartésienne.<br />
Je vois naître de son sein et de ses principes, d mon avis mal<br />
entendus, plus d'une hérésie et je prévois que les conséquences<br />
qu'on en tire contre les dogmes que nos pères ont tenus la feront<br />
rendre odieuse et feront perdre à l'Église tout le fruit qu'elle<br />
(1) Cet aspect est bien mis en valeur dans l'article d'Albert G. A. Balz,<br />
Cartesian réfutations of Spinoza (in The Philosophical Review, t. 46 sep<br />
tembre 1937, p. 461 sq.).<br />
(2) Cf. Bouillier, op. cil. (t. II, p. 237).