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« LE TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE » 207<br />
nelle avec la manière rude et sérieuse de Spinoza. Et Bayle<br />
lui-même, violent critique de Spinoza, mais admirateur de Gas<br />
sendi, de La Mothe le Vayer et de Naudé, éditeur de 1701 à<br />
1703 des Naudaeana et des Paliniana, semble demeurer fidèle<br />
à une ligne exclusivement française (1). Il n'y a là qu'une part<br />
de vérité. Entre la génération des érudits libertins qui s'éteint<br />
vers 1660 et celle de Fontenelle qui peu à peu s'impose vers<br />
1685-1686,<br />
une large coupure figure les triomphes diploma<br />
tiques et militaires de Louis XIV, sur lesquels s'appuient effica<br />
cement les dogmes de l'orthodoxie politique et religieuse. Pro<br />
testants, jansénistes et même cartésiens sont pourchassés ou<br />
réduits au silence. Toutes les apparences semblent donc indiquer<br />
que jamais ouvrage ne parut dans des conditions aussi peu<br />
favorables. Ces apparences sont fausses. Le Tractatus de Spinoza<br />
doit précisément son influence à son caractère insolite, à son<br />
apparition isolée. Dans la France toute catholique sous le règne<br />
de Louis le Grand, il est le seul témoignage, non pas de la sur<br />
vivance de la pensée libre, mais de sa capacité de renouvelle<br />
ment, avant les grands déboires de la fin du siècle qui délieront<br />
les langues et permettront les premières audaces.<br />
Rien n'est plus instructif à cet égard que de dresser le bilan<br />
du libertinage français. M. Pintard l'a fait et malgré ses efforts<br />
pour éclairer la figure de ses héros, pour mettre en valeur leurs<br />
moindres confidences et donner de la cohérence à leurs ébauches,<br />
on est frappé d'emblée par leur stérilité intellectuelle. Tous,<br />
même les chefs comme Gassendi, Sorbière, Naudé, Bourdelot,<br />
Le Vayer, regardent plus vers le passé prestigieux de l'Antiquité<br />
et de la Renaissance que vers l'avenir. Tous, prudents mais<br />
« défaitistes, ressentent un désaccord entre eux-mêmes et leur<br />
temps... réduits à un emmurement qui ne leur permet avec leurs<br />
semblables que de furtifs contacts (2) ». Qu'ils exploitent le<br />
fonds antique ou le fonds padouan, ils s'usent dans de stériles<br />
conciliations, restaurent l'atomisme épicurien, réhabilitent la<br />
morale stoïcienne ou le pyrrhonisme. Mais leur timide syncré<br />
tisme, hâtif et plein de fissures,<br />
ne permet aucun essor intellec<br />
tuel. « Ils avaient songé à utiliser tout ce qu'avait produit le<br />
xvie<br />
siècle incrédule, à l'étendre, à l'enrichir, pour en faire la<br />
philosophie des temps nouveaux : ils donnent l'impression de<br />
n'avoir guère sauvé que des débris et ils sont morts avec l'ap<br />
parence de vaincus, à l'arrière-garde des armées de la Renais-<br />
(1) René Pintard,<br />
(2) Ibid., p. 566.<br />
op. cil. (p. 573).