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<strong>SPINOZA</strong> ET LA PENSÉE FRANÇAISE<br />
sa préface : Spinoza par une fraude consciente prend tous les<br />
mots dans une acception contraire au sens commun. On ne peut<br />
croire avec Spinoza que tous les hommes se trompent sur les<br />
notions de Dieu, de substance et de liberté (1). Plus curieux est<br />
son refus de la preuve ontologique qui, par un artifice verbal,<br />
est le début de tous les sophismes. Poiret, comme tous les mys<br />
tiques, est sensible à la réalité vivante de Dieu et ne saurait<br />
enfermer sa personne dans l'insidieuse transition de l'essence<br />
à ^existence (2). Enfin, il revient avec lourdeur sur la notion<br />
d'infini dont il précise d'abord le contenu : « Collectio omnium<br />
infinitorum in suo génère (3) », c'est-rà-rdire une somme et >non<br />
l'unité seule digne de Dieu, puis les conséquences : le Dieu mons<br />
trueux assimilé à l'univers. L'auteur ne cache plus sa lassitude<br />
'mais s'engage cependant dans la démonstration d'une Éthique<br />
revue et corrigée : une effroyable scolastique surgit alors où<br />
quelques préceptes cartésiens comme celui de la dualité de<br />
l'étendue et de la pensée émergent du chaos (4).<br />
En somme, l'essai de Poiret est un échec, mais un échec<br />
limité et qui comporte une leçon. Poiret, comme son prédécesseur<br />
Yvon, est en droit de refuser, au nom du sentiment intérieur,<br />
d'un sens immédiat de la réalité divine, les prétentions orgueil<br />
leuses des philosophes qui font de l'esprit la mesure de la vérité.<br />
Mais il n'a nullement le pouvoir de condamner la raison par la<br />
raison. Au lieu de s'en tenir à l'expérience psychologique et de<br />
raconter ses visions, il combat maladroitement en terrain ennemi.<br />
La Bourrignon, qui n'avait pas fait sa théologie,<br />
ne commettait<br />
pas de ces erreurs. Cependant, aux détours de ce livre -illisible,<br />
souvent quelque argument original apparaît que des générations<br />
rde réfutateurs reprendront pieusement. Mais surtout, Poiret<br />
-est le premier Français à aborder courageusement l'É&ique,<br />
alors que ses contemporains craignent d'en pénétrer les ténèbres;<br />
il est même le seul à parcourir le Ve livre et à discuter la notion<br />
spinoziste du bonheur; avec un tact étonnant, il est allé à l'essen<br />
tiel. Il n'a pas senti — il a fallu deux siècles pour le comprendre<br />
— la parenté qui liait effectivement Spinoza aux penseurs mys<br />
tiques, sinon dans la démarche, du moins dans la vision finale;<br />
mais il a senti que la négation même du christianisme était<br />
11) Cogilaliones ralionales (p. 730).<br />
(2) Ibid., p. 732 : étude de la<br />
Ibid.. p. 732 : étude de la première définition de l'Éthique (• JJentends<br />
par cause de soi... ») où il oppose à Spinoza un sens beaucoup plus restreint<br />
do la « causa eui », à savoir