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L'armee%20perdue%20-%20Valerio%20Manfredi.pdf

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l’obscurité protégerait notre marche. Les hommes se<br />

sustentèrent puis s’ébranlèrent à un signe de leurs chefs, alors<br />

que le mot d’ordre de Sophos passait de lèvres en lèvres.<br />

Nous marchâmes toute la nuit d’un bon pas. Les guerriers<br />

avaient déposé leurs boucliers sur les chariots, mais chacun<br />

connaissait l’emplacement du sien et le trajet le plus court pour<br />

le récupérer en cas de nécessité. Les ordres étaient transmis très<br />

vite et à voix basse.<br />

Le premier arrêt fut bref. Les hommes se couchèrent sur le<br />

sol et dormirent un moment, puis nous repartîmes.<br />

Jamais je n’oublierai cette marche. Il n’y eut ni batailles, ni<br />

assauts, ni embuscades, ni morts, ni blessés : ce fut une<br />

traversée de la nuit. Des parfums mystérieux flottaient dans<br />

l’air : celui des amarantes sèches, de la poussière ou du silex qui<br />

exhale la chaleur accumulée pendant le jour, des genêts qui<br />

fleurissaient sur les montagnes et des chaumes de la plaine.<br />

De temps à autre, on entendait le chant d’un oiseau solitaire<br />

ou des bruissements d’ailes lorsqu’on longeait un buisson. Je<br />

regardais l’étoile du soir décliner vers l’horizon, le ciel bleuir,<br />

tandis que la lune continuait de briller d’un éclat argenté, et la<br />

longue file d’hommes qui, sur cette toile de fond, évoquait une<br />

armée de fantômes. Parfois, j’avais l’impression de distinguer de<br />

blanches crinières flottant au vent et des cavaliers se détachant<br />

sur le ciel, mais je me rendis compte que cette vision était le<br />

fruit de mon imagination. La seule réalité à laquelle nous étions<br />

confrontés était le pas pesant des hommes s’efforçant<br />

d’échapper à l’anéantissement.<br />

Je me laissai bientôt aller sur mon chariot, consciente du fait<br />

que je n’aurais bientôt plus ce grand privilège, et qu’il me<br />

faudrait, comme tous les autres, marcher dans la poussière<br />

brûlante et dans la boue glaciale. Avant de fermer les yeux, je<br />

songeai à Nicarque d’Arcadie, à son ventre lacéré : cela faisait<br />

longtemps que je ne l’avais pas vu et je me demandais s’il était<br />

encore en vie ou s’il avait été abandonné sans sépulture au bord<br />

du sentier.<br />

Je dormis d’un sommeil léger, gênée par les sursauts du<br />

chariot et par le bruit des roues. À un moment donné, je vis<br />

surgir la silhouette puissante de Cléanor d’Arcadie serrant entre<br />

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