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L'armee%20perdue%20-%20Valerio%20Manfredi.pdf

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L’armée possédait ses propres moyens d’expression, selon<br />

les situations. C’était un son confus fait de voix et de bruits.<br />

Dans la plaine, le roulement du tambour et la mélodie des flûtes<br />

scandaient chaque pas. Dans la montagne, on avançait comme<br />

on pouvait, sans tambours ni flûtes. Le silence se remplissait<br />

alors des mille voix des guerriers en marche. L’ensemble était<br />

étrange : une addition de mots, de cris, de râles et de<br />

hennissements, de cliquètements d’armes, de bruits dissonants<br />

qui se fondaient entre eux. Il arrivait que cette voix se tût ou<br />

s’assombrît. Tantôt, c’était le tintement des armes qui<br />

l’emportait, et alors l’armée parlait d’une voix métallique et<br />

coupante ; tantôt c’étaient les discours des hommes qui<br />

prenaient le dessus, et l’on entendait bruire ce corps<br />

gigantesque et multiforme, pareil à un marmonnement ou un<br />

grondement sombre, à un coup de tonnerre ou encore à un cri<br />

aussi aigu que les pics montagneux.<br />

Bien que le sentier fût de plus en plus escarpé, les hommes<br />

marchaient sans difficulté. Mais le ciel était d’encre, et il se mit<br />

bientôt à pleuvoir, une pluie froide, dense et lourde qui me<br />

trempa immédiatement. Je sentais l’eau couler le long de mon<br />

dos, mes cheveux se coller à mon front, mes vêtements se<br />

plaquer à mes jambes, entravant ma marche. Les éclairs étaient<br />

effrayants : des torrents de feu déchiraient le ciel, lacéraient les<br />

grands nuages noirs qui galopaient, ébouriffés, enveloppant les<br />

sommets dans une vapeur dense, et le tonnerre était si fort que<br />

mon cœur battait la chamade.<br />

Les guerriers continuaient d’avancer à un rythme régulier en<br />

s’aidant de leur lance. Ils avaient baissé leur casque sur leur<br />

visage, et leurs armures jetaient, à chaque éclair, des éclats<br />

éblouissants. Ceux qui avaient un cheval le tenaient par les<br />

rênes et le guidaient dans les passages difficiles, essayant de le<br />

calmer lorsqu’il se dérobait.<br />

Je me retournai et constatai que la fille enceinte<br />

s’affaiblissait de plus en plus ; je comptais les pas qui la<br />

séparaient du renoncement. Elle était maigre et hâve, blême, et<br />

son ventre paraissait d’autant plus gros et lourd. Toute la<br />

chaleur que son corps conservait se concentrait autour de son<br />

bébé, mais il aurait bientôt froid, lui aussi, et ce serait la fin. Elle<br />

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