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L'armee%20perdue%20-%20Valerio%20Manfredi.pdf

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tourbillonnante, comme des champions du stade, afin qu’ils<br />

atteignent la rive avant les Arméniens, les filles qui les avaient<br />

étreints au retour des batailles, qui avaient soigné et pansé leurs<br />

blessures, qui les avaient réconfortés lorsqu’ils étaient en proie<br />

à la fatigue et au découragement, les filles qui les avaient<br />

embrassés et aimés quand le jour qui se levait risquait d’être le<br />

dernier, les filles qui les avaient accompagnés jusqu’au seuil du<br />

néant, qui avaient pleuré les morts sur le bûcher funèbre, telles<br />

des épouses, des sœurs, des mères.<br />

Elles s’en allèrent.<br />

Je restai auprès de Xéno. Et Mélissa resta auprès de Cléanor,<br />

tout comme les vingt ou trente compagnes des officiers. Nous<br />

reprîmes notre marche le long de la côte. Pendant un certain<br />

temps, nous vîmes les bateaux naviguer de conserve, et j’eus<br />

même l’impression d’apercevoir nos amies qui agitaient des<br />

étoffes colorées et des foulards. J’avais le cœur serré et je fondis<br />

en larmes. Je songeais à Lystra, au jour glacial où elle avait<br />

essayé d’accoucher, au désespoir et à la solitude qui s’étaient<br />

ensuite emparés de moi. À la mort qui avait réclamé son tribut,<br />

une pauvre esclave et un enfant qui ne naîtrait jamais. Et dans<br />

le soleil qui, jetant sur les vagues mille éclats, m’aveuglait, je<br />

repensais à la mystérieuse divinité qui m’avait soulevée dans la<br />

tempête et qui m’avait conduite au campement sur son cheval<br />

ailé afin qu’on m’y trouvât. Peut-être avait-elle des traits de<br />

neige, et peut-être ceux-ci avaient-ils fondu avec le retour du<br />

printemps, peut-être son âme brillait-elle à présent dans les<br />

reflets infinis des torrents qui dévalaient les pentes et<br />

plongeaient dans la mer.<br />

Au bout de plusieurs jours de marche, nous atteignîmes une<br />

ville importante. Vint alors le moment amer et longuement<br />

repoussé de compter les rescapés – officiellement, afin de<br />

connaître le nombre de bouches à nourrir. L’armée fut alignée<br />

et les officiers commandant chaque régiment firent l’appel à<br />

haute voix. Les survivants criaient : « Présent ! », quand leur<br />

nom retentissait, et les silences se multipliaient. Ainsi que le<br />

voulait la tradition militaire, l’officier répétait le nom, tout en<br />

sachant qu’il appelait un défunt, et passait au suivant après un<br />

autre silence. Peu à peu, les visages s’assombrissaient, car à<br />

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