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Carlson, Sacha: «L’essence du phénomène»<br />

s'interrogeant sur elle-même » (VI, 139, souligné par Richir) ; « non pas, donc, qu'il<br />

s'agisse de réduire notre étonnement devant le monde en le convertissant en univers de<br />

raisons, de pensées ou de concepts, mais au contraire, de le faire parler depuis son lieu<br />

même. » (SPV, 132) ; et ceci exige à son tour un style d'interrogation tout à fait propre.<br />

Merleau-Ponty invite en fait le philosophe à accomplir ce que Richir avait appelé avec<br />

Max Loreau, dans une de ses premières publications (Phénoménalisation, distorsion,<br />

logologie, 1972) 84 , la défenestration : loin de se retrouver comme le penseur classique,<br />

clos dans une pièce (ou un poël) pour regarder et juger – par la seule puissance de<br />

l'esprit – le monde par la fenêtre 85 , le philosophe est projeté dans le monde, au milieu<br />

des choses et des gens, « éclaboussé » de toute part : il est défenestré. C'est bien à<br />

accomplir ce geste que nous invite Merleau-Ponty : « Notre âme n'a pas de fenêtre :<br />

cela veut dire In der Welt Sein » (VI, 276). « Être-au-monde », mais dans un sens qui,<br />

nous le verrons, n'est plus vraiment heideggerien. La conversion que propose Merleau-<br />

Ponty est bien plus radicale, en ce que le voyant (le philosophe) devient lui aussi visible<br />

: le voyant, tout en percevant le monde, se perçoit lui-même comme étant du monde –<br />

comme un corps-de-chair (Leib). Le voyant, tout en enveloppant le monde de ses<br />

regards, est en même temps enveloppé par lui (Cf. Phénoménalisation, distorsion,<br />

logologie, p. 69). Autrement dit, le philosophe comprend qu'il fait corps avec le monde<br />

qu'il se propose de décrire ; mieux, que tous deux ont la même chair. Merleau-Ponty<br />

ouvre donc un « champ phénoménal où la chair du corps s'applique à la chair du monde<br />

(et inversement) sans que les deux en arrivent à se confondre » (PTE, 73-74); et si dès<br />

lors « je puis prétendre atteindre au noyau des êtres, c'est parce que mon être, aussi bien<br />

qu'eux, se sent émerger d'eux, en les saisissant, “par une sorte d'enroulement ou de<br />

redoublement, foncièrement homogène à eux, qu'il est le sensible même venant à soi, et<br />

qu'en retour le sensible est à ses yeux comme son double ou une extension de sa chair”<br />

(VI, 153) » (PTE, 72). La révolution est totale : le « phénomène de la phénoménologie »<br />

est désormais à considérer comme un « champ phénoménologique », le lieu de l’Être, si<br />

84 Le terme de défenestration est emprunté au livre de Max Loreau : Jean Dubuffet - Délits,<br />

déportements, lieux de haut jeu, Paris, Weber, 1971. Ce livre de Loreau a fait d'ailleurs l'objet d'un article<br />

de Richir : Pour une cosmologie de l'Hourloupe (1972).<br />

85 « [...] si par hasard je regardais d'une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je<br />

ne manque pas de dire que je vois des hommes [...], alors que cependant que vois-je de cette fenêtre sinon<br />

des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent<br />

que par ressorts, mais je juge que ce sont de vrais hommes; et ainsi le comprend par la seule puissance<br />

de juger qui réside en mon esprit ce que je croyais voir en mon esprit. » (Descartes, Seconde Méditation<br />

Métaphysique, P.U.F., « Quadrige », Paris, 1992, pp. 48-49)<br />

270 <strong>Eikasia</strong>. Revista de Filosofía, año VI, 34 (septiembre 2010). http://www.revistadefilosofia.com

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