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Carlson, Sacha: «L’essence du phénomène»<br />

Richir en vient à méditer inauguralement l’œuvre picturale de Jean Dubuffet, œuvre<br />

qu’en vérité, il n’aura cessé de méditer depuis lors. La démarche de Richir est assez<br />

claire dans son projet : il entend se situer après le créateur (le peintre), et après même<br />

l’œuvre du poète qui, à sa manière, dans son œuvre cosmogonique, tente déjà de dire la<br />

création : « Il faut délibérément prendre parti, et le mien sera celui du philosophe. Après<br />

la naissance d’un monde, la cosmogonie ; et après la cosmogonie, la cosmologie, qui est<br />

philosophique, si l’on entend toutefois par philosophie, non pas amour de la sagesse –<br />

s’il y a une sagesse ici, elle est si loin de l’habituelle qu’elle ferait plutôt figure d’antisagesse<br />

–, mais interrogation, aménagement d’un creux où c’est le monde lui-même qui<br />

doit nourrir le discours, y loger son énigme, forcer la pensée philosophique<br />

traditionnelle à ruiner ses imaginations et à s’ouvrir ainsi au “réel” – ce “réel” étant en<br />

l’occurrence la chose même qui est en question, la “création” que Dubuffet a fait éclater<br />

au point d’en faire une cause à débattre, l’objet d’un litige » (Pour une cosmologie de<br />

l’Hourloupe, 229-230).<br />

Sur le démiurge lui-même (Dubuffet), Richir ne dit pas grand chose ; mais<br />

l’énigme qui l’amena à créer ce « monde concurrent de celui qu’on connaît » (Ibid.,<br />

230) mérite d’être relevée. Dubuffet est loin d’être un créateur absolu, une sorte de deus<br />

ex machina ; il lui fallut, durant sa « préhistoire », de nombreuses années de patience<br />

durant lesquelles il était douloureusement confronté au désir d’être artiste et à<br />

l’impossibilité d’être à la hauteur de ce même désir. C’est seulement à l’âge de quarante<br />

ans qu’il trouve finalement « l’étincelle qu’il n’attendait plus » (Ibid., 231) : Les gardes<br />

du corps (1943). « Le tableau qu’il a peint sans y faire attention, suscite son attention<br />

après coup, quand il le regarde. Quelque chose – quoi au juste, il ne le sait – a jailli, a<br />

pris apparence, s’est phénoménalisé ; un feu s’est allumé qui ne s’éteindra plus » (Ibid.).<br />

Richir énonce encore cette situation paradoxale en termes de culture et d’anti-culture.<br />

On pourrait dire de ce monde créé qu’il est « culturel » en ce sens qu’il n’est pas<br />

« réel », mais simplement création ; mais dans la mesure où le monde qui surgit ici fait<br />

mêlant indéfiniment l’un l’autre. […] mais il est encore et peut-être surtout un long poème cosmogonique<br />

ou épique traversé d’humeurs propres à désorienter la pensée, à la mettre en effervescence, à y semer le<br />

doute et des germinations folles, la dévoyant pour la faire entrer presque malgré elle dans l’œuvre<br />

patiente de la “création” […]” (Pour une cosmologie de l’Hourloupe, pp. 228-229). En ce qui concerne<br />

l’œuvre proprement philosophique de Loreau, il suffira de lire La Genèse du phénomène (éd. de Minuit,<br />

1989) pour s’apercevoir que, bien que résonnant çà et là d’avec la pensée richirienne, elle en diverge<br />

nettement.<br />

<strong>Eikasia</strong>. Revista de Filosofía, año VI, 34 (septiembre 2010). http://www.revistadefilosofia.com 317

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