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816 DE L'HOMME.<br />

nos idées coulent plus uniformément, ou se croisent plus irrégulièrement : mais<br />

cette mesure a une unité dont la grandeur n'est point arbitraire ni indéfinie; elle est<br />

au contraire déterminée par la nature même, et relative à notre organisation. Deux<br />

idées qui se succèdent, ou qui sont seulement différentes l'une de l'autre, ont né­<br />

cessairement entre elles un certain intervalle qui les sépare ; quelque prompte que<br />

Soit la pensée, il faut un petit temps pour qu'elle soit suivie d'une autre pensée,<br />

cette succession peut se faire dans un instant indivisible. Il en est de même du<br />

sentiment : il faut un certain temps pour passer de la douleur au plaisir ou même<br />

d'une douleur à une autre douleur. Cet intervalle de temps qui sépare nécessaire­<br />

ment nos pensées, nos sentiments, est l'unité dont je parle ; il ne peut être ni extrê­<br />

mement long, ni extrêmement court; il doit même être à peu près égal dans sa<br />

durée, puisqu'elle dépend de la nature de notre âme et de l'organisation de notre<br />

corps, dont les mouvements ne peuvent avoir qu'un certain degré de vitesse déter­<br />

minée : il ne peut donc y avoir dans le même individu des successions d'idées plus<br />

ou moins rapides au degré qui serait nécessaire pour produire cette différence<br />

énorme de durée qui d'une minute de douleur ferait un siècle, un jour, une heure.<br />

Une douleur très-vive, pour peu qu'elle dure, conduit à l'évanouissement ou à<br />

la mort; nos organes, n'ayant qu'un certain degré de force, ne peuvent résister<br />

que pendant un certain temps à un certain degré de douleur : si elle devient exces­<br />

sive, elle cesse, parce qu'elle est plus forte que le corps, qui, ne pouvant la sup­<br />

porter, peut encore moins la transmettre à l'âme, avec laquelle il ne peut corres­<br />

pondre que quand les organes agissent : ici l'action des organes cesse ; le sentiment<br />

intérieur qu'il communique à l'âme doit donc cesser aussi.<br />

Ce que je viens de dire est peut-être plus que suffisant pour prouver que l'ins­<br />

tant de la mort n'est point accompagné d'une douleur extrême ni de longue<br />

durée ; mais pour rassurer les gens les moins courageux, nous ajouterons encore<br />

un mot. Une douleur excessive ne permet aucune réflexion; cependant on a<br />

vu souvent des signes de réflexion dans le moment d'une mort violente. Lorsque<br />

Charles XII reçut le coup qui termina dans un instant ses exploits et sa vie, il<br />

porta la main sur son épée : cette douleur mortelle n'était donc pas excessive»<br />

puisqu'elle n'excluait pas la réflexion : il se sentit attaqué, il réfléchit qu'il fal­<br />

lait se défendre : il ne souffrit donc qu'autant que l'on souffre par un coup ordi­<br />

naire. On ne peut pas dire que cette actionne fut que le résultat d'un mouvement<br />

mécanique, car nous avons prouvé à l'article des passions (1), que leurs mouve­<br />

ments, même les plus prompts, dépendent toujours de la réflexion, et ne sont que<br />

des effets d'une volonté habituelle de l'âme.<br />

Je ne me suis un peu étendu sur ce sujet que pour tâcher de détruire un préjugé<br />

si contraire au bonheur de l'homme; j'ai vu des victimes de ce préjugé, des per­<br />

sonnes que la frayeur de la mort a fait mourir en effet; des femmes surtout, que<br />

la crainte de la douleur anéantissait. Ces terribles alarmes semblent n'être faites<br />

0) Voyez ci-devant l'article de l'âge viril.

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