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36 ANIMAUX.<br />

Rabaissons-nous donc sans regret à une philosophie plus matérielle ; et en nous<br />

tenant dans la sphère où la nature semble nous avoir confinés, examinons les dé­<br />

marches téméraires et le vol rapide de ces esprits qui veulent en sortir. Toute cette<br />

philosophie pythagoricienne, purement intellectuelle, ne roule que sur deux prin­<br />

cipes, dont l'un est faux et l'autre précaire; ces deux principes sont la puissance<br />

réelle des abstractions, et l'existence actuelle des causes finales. Prendre les nom­<br />

bres pour des êtres réels ; dire que l'unité numérique est un individu général, qui<br />

non-seulement représente en effet tous les individus, mais même qui peut leur<br />

communiquer l'existence; prétendre que cette unité numérique a de plus l'exer­<br />

cice actuel de la puissance d'engendrer réellement une autre unité numérique à<br />

peu près semblable à elle-même ; constituer par là deux individus, deux côtés d'un<br />

triangle, par un troisième individu qu'ils engendrent nécessairement; regarder<br />

les nombres, les lignes géométriques, les abstractions métaphysiques, comme des<br />

causes efficientes, réelles et physiques ; en faire dépendre la formation des éléments,<br />

la génération des animaux et des plante^, et tous les phénomènes de la nature, me<br />

paraît être le plus grand abus qu'on pût faire de la raison, et le plus grand obsta­<br />

cle qu'on pût mettre à l'avancement de nos connaissances. D'ailleurs, quoi de<br />

plus faux que de pareilles suppositions ? J'accorderai, si l'on veut, au divin Platon<br />

et au presque divin Malebranche (car Platon l'eût regardé comme son simulacre en<br />

philosophie) que la matière n'existe pas réellement, que les objets extérieurs ne<br />

sont que des effigies idéales de la faculté créatrice, que nous voyons tout en Dieu :<br />

en peut-il résulter que nos idées soient du même ordre que celles du Créa­<br />

teur, qu'elles puissent en effet produire des existences ? ne sommes-nous pas dé­<br />

pendants de nos sensations? Que les objets qui les causent soient réels ou non,<br />

que cette cause de nos sensations existe au dehors ou au dedans de nous, que ce<br />

soit dans Dieu ou dans la matière que nous voyons tout : que nous importe ? en<br />

sommes-nous moins sûrs d'être affectés toujours de la même façon par de certaines<br />

causes, et toujours d'une autre façon par d'autres? les rapports de nos sensations<br />

n'ont-ils pas une suite, un ordre d'existence et un fondement de relation nécessaire<br />

entre eux? C'est donc cela qui doit constituer les principes de nos connaissances,<br />

c'est là l'objet de notre philosophie, et tout ce qui ne se rapporte point à cet objet<br />

sensible est vain, inutile et faux dans l'application. La supposition d'une harmonie<br />

triangulaire peut-elle faire la substance des éléments ? la forme du feu est-elle,<br />

comme le dit Platon, un triangle aigu, et la lumière et la chaleur des propriétés de<br />

ce triangle? l'air et l'eau sont-ils des triangles rectangles et équilatéraux? et la<br />

forme de l'élément terrestre est-elle un carré, parce que, étant le moins parfait<br />

des quatre éléments, il s'éloigne du triangle autant qu'il est possible, sans cepen­<br />

dant en perdre l'essence ? Le père et la mère n'engendrent-ils un enfant que pour<br />

terminer un triangle ? Ces idées platoniciennes, grandes au premier coup d'oeil, ont<br />

deux aspects bien différents : dans la spéculation elles semblent partir de principes<br />

nobles et sublimes; dans l'application elles ne peuvent arriver qu'à des consé­<br />

quences fausses et puériles.

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