RELIGION CHRESTIENiNE - Archive ouverte UNIGE

714 CHAPITRE Xllil.
sont bonnes creatures de Dieu, permises, et mesmes destinées à
l'usage des hommes: et n'est en aucun lieu deffendu ou de rire,
ou de se saouller, ou d'acquérir nouvelles possessions, ou de se
délecter avec instrumens de musique, ou de boire vin. Cela est
5 bien vray. Mais quand quelqu'un est en abondance de biens, s'il
s'ensèvelist-en délices, s'il enyvre son ame et son cœur aux voluptez
présentes, et en cerche tousjours de nouvelles, il recule
bien loing de l'usage sainet et legitime des dons de Dieu. Qu'ilz
ostent donc leur mauvaise cupidité, leur superfluité outrageuse,
10 leur vaine pompe et arrogance : pour user des dons de Dieu avec
. pure conscience. Quand ilz auront reduict leurs cœurs à ceste
sobriété : ilz auront lareigle de bon usage. Que ceste temperance
desfaille : les délices mesmes vulgaires et de petit pris passeront
mesure. Car ceste parolle est tresvraye, que soubz du gris ou du
is bureau, habite bien souvent un courage de pourpre: et d'autre '
part que soubz soye et velôux, quelque fois est caché un humble
cœur . Parquoy que chascun en son estât vive ou povrement, ou
médiocrement, ou richement : tellement neantmoins, que tous
congnoissent qu'ilz sont noùrriz de Dieu : pour vivre, non pour
20 se remplir de délices : et entendu que ceste est la Loy de la liberté
Chrestienne, s'ilz sont apprins avec Sainct Paul, de se contenter Phili.4.
de ce qui leur est présenté, s'ilz scaivent bien porter abjection, et
honneur: fain, et abondance, povreté, et opulence.
La seconde faute aussi, de laquelle nous avons parlé, est
25 grande en plusieurs : lesquelz, comme si leur liberté ne leur
estoit point sauve ne entière, si elle n'avoit des hommes pour
tesmoingz, usent d'icelle. imprudemment et sans discretion.
Par lequel inconsidéré usage, souventesfois ilz offensent leurs
frères infirmes. On peut voyr aujourd'huy d'aucuns, lesquelz
3o ne pensent pas bien garder leur liberté, s'ilz n'en sont entrez en
possession, par menger chair le jour du vendredy. Je ne les
reprenz point de ce qu'ilz mengent de la chair : mais il fault
rejetter de noz espritz ceste faulse opinion, qu'on n'àyt point
de liberté, si on ne la monstre à touz propoz. Car il fault e'sti-
35 mer que par nostre liberté nous n'acquérons rien devant lés
hommes, mais envers Dieu : et qu'elle est autant située en absti- _
nence, qu'en usage. Si quelqu'un ha ceste vfaye intelligence que
celuy soit tout un envers Dieu de menger de la chair ou des
œufz, d'estre vestu de rouge ou de noir : celuy est assez. Desja