RELIGION CHRESTIENiNE - Archive ouverte UNIGE

770 CHAPITRE XVI.
et requérir. Mais j'ay ici à faire à deux manières de gens. Car il
y en a plusieurs qui bruslent d'une si grande rage de plaidoyer :
que jamais ilz n'ont repoz en eux mesmes, sinon quand ilz combattent
contre les autres. D'avantage ilz ne commencent jamais
sieurs playdoyersj qu'avec haynes mortelles, et une convoitise
desordonnée de nuyre et faire vengeance : et les poursuyvent
avec une obstination endurcie, jusques à la ruyne de leur adversaire.
Ce pendant à fin qu'il ne semble pas advis q'uilz facent
rien que droictement : ilz deffendent telle perversité soubz umbre
10 de s'ayder de justice. Mais il ne s'ensuyt pas, que s'il est permis
à quelqu'un de contreindre son prochain par jugement, de
faire raison : qu'il luy soit pourtant licite de le hayr, de luy porter
affection de nuyssance, de le poursuyvre obstinéement sans
miséricorde. Que telles gens donc apprennent ceste maxime :
is que les jugemens sont legitimes à ceux, qui en usent droictement.
De rechef que le droict usaige est tel : Premièrement au demandeur,
si estant injustement violé et oppressé soit en son corps,
soit en [s]es biens, il se vient mettre en la garde du Magistrat,
luy exposé sa cömplaincte, luy faict sa requeste juste et equita-
20 ble : mais sans quelque cupidité de vengeance ou nuysance, sans
hayne et amertume, sans ardeur de contention. Aucontraire,
estant plustost prest de quieter le sien et souffrir toutes choses,
que de concevoir couroux et hayne contre son adversaire. Secondement
au deffendeur, si estant adjourné, il comparoist à
25l'assignation, et deffend sa cause par les meilleures excuses et
raisons qu'il peut, sans amertume aucune : mais d'une simple
affection de conserver ce qui est sien en justice. D'autrepart si
les couraiges sont entaschez de malveillance, corrompuz d'envie,
enflambez d'indignation, stimulez de vengeance, ou comment
30 que ce soit, tellement piquez que la charité en soit diminuée :
toutes les procedures des plus justes causes du monde, ne peuvent
estre que iniques et meschantes. Car il fault que ceste
resolution soit arrestee entre tous les Chrestiens : Que nul ne
peut mener procès, quelque bonne et equitable cause qu'il ayt,
35 s'il ne porte à son adversaire une mesme affection de benevolence
et de dilection, que si l'affaire, qui est débattu entre
eux, estoit desjà aimablement traicté et appaisé. Quelqu'un
possible objectera, que tant s'en fault que jamais on voye en
jugement une telle moderation et temperance, que s'il adve-