RELIGION CHRESTIENiNE - Archive ouverte UNIGE

322 CHAPITRE IX.
eslargir : veu qu'il veult que nous reputions les benefices, qui nous
proviennent de sa libéralité gratuite, avoir esté octroyez à noz
prières.
Or que la premiere Loy, pour bien et deuëment instituer l'O-
5 raison soit telle, que nous ne soions point autrement disposez
d'entendement et de courage, qu'il convient à ceux qui entrent en
propoz avec Dieu. Ce qui se fera quand à nostre entendement,
si iceluy estant desveloppé de toutes sollicitudes et cogitations
charnelles, par lesquelles il peut estre destourné ou empesché
iode regarder droictement et purement Dieu : non seulement et
du tout s'applique à l'intention de prier : mais aussi, entant que
faire se peut, est eslevé par dessus soy. Neantmoins je ne requiers
point qu'il soit tellement à délivre, que nulle sollicitude
ne le poigne ou sollicite. Veu que plustost aucontraire il est be-
15 soing que l'ardeur de prier soit enflambé en nous par angoisse
et grande destresse. Comme nous voyons que les sainctz Serviteurs
de Dieu se demonstrent estre en merveilleux tourment, et
par plus forte raison en sollicitude: en disant qu'ilz eslevent Psal. 130.
leurs voix au Seigneur de la profondité des abysmes, et du goulfre
20 de la mort. Mais j'entendz qu'il fault rejetter loing toutes cures
estranges par lesquelles l'entendement soit transporté cà et là :
et estant retiré du ciel, soit déprimé et abaissé en terre. D'avantage
en ce que je dy qu'il doibt estre eslevé par dessus soy, je
veulx signifier qu'il ne doibt rien apporter devant la face du Seiäögneur,
de ce que nostre raison folle et aveuglée a accoustumé
de songer : et né se doibt contenir et restreindre en sa vanité :
mais s'eslever à une pureté de Dieu. En quoy on pèche communément
bien fort. Car non seulement un chascun ose faire
Dieu tesmoing, sans honte et sans reverence de ses follies :
30 et produire impudemment devant son Throsne tout ce qui luy
a esté plaisant, mesmes en songe. Mais il y a telle bestise ou
follie en plusieurs, qu'ilz osent bien exposer a Dieu leurs cupi-
. ditez si villaines, qu'ilz auroient honle de les manifester aux
hommes. Pareillement il fault que le cœur de tout son effort
35 aspire à un mesme but, et suyve un mesme train. C'est, que : '
comme l'intelligence doibt estre du tout dirigée en Dieu :
aussi que l'affection y soit du tout ravie. Or il s'en fault beaucoup
que la faculté de l'homme suffise à une telle perfection :
car elle demeure beaucoup au dessoubz, ou plustost elle