RELIGION CHRESTIENiNE - Archive ouverte UNIGE

818 CHAPITRE XVII.
pèlerinage, par lequel ilz tendent au Royaume celeste. S'il nous
fault seulement passer par la terre : il n'y a doubte. que nous
devons tellement user des biens d'icelle, qu'il?" advancënt plustost
nostre course, qu'il z ne la retardent '. Mais poùrce que ceste
5 matière est scrupuleuse, et qu'il y a danger de tomber tant en
une extrémité qu'en l'autre : advisons de donner certaine doctrine,
en laquelle on se puisse seulement resouldre. H y a eu d'aucuns
bons personnages et sainctz, lesquelz voyans l'intempérance
des hommes se desborder tousjours comme à bride avalée : si-
10 non qu'elle soit sévèrement restraincte : voulant d'autrepart
corriger un si grand mal, n'ont permis à l'homme d'user des
biens corporelz, sinon entant qu'il seroit expedient ,poùr sa
nécessité. Ce qu'ilz ont faict, pource qu'ilz n'y voyoient point
d'autre remède. Leur conseil procedoit bien d'une bonne affec-
13 tion, mais ilz y sont allez d'une trop grande rigueur. Car ilz
ont faict une chose fort dangereuse. C'est qu'ilz ont Hé les
consciences plus estroictement, qu'elles n'estoient liées par. la
parolle de Dieu. Aucontraire il y en a aujourd'huy plusieurs : les*quelz
voulant cercher couleur, pour excuser toute intemperance
20 en l'usage des choses externes, et lascher la bride à la chair i
laquelle n'est autrement que trop prompte à se desborder, prennent
un article pour résolu que je ne leur accorde pas : C'est qu'il ne fault
restraindre ceste liberté par aucune moderation : mais plustot qu'on
doibt permettre à la conscience d'un chascun, d'en user comme elle
2s se voirra estre licite. Je confesse bien que nous ne devons ne povons
astraindre les consciences, en cest endroit, à certaines formules
et préceptes. Mais puis que l'Escriture baille reigles generalles de
l'usage legitime : pourquoy ne sera-il imité selon icelles ? Pour le
premier poinct, il nous fault tenir cela, que l'usage des dons de Dieu
•M n'est point desreiglé, quand il est reduict à la fin, à laquelle Dieu
nous les a créés et destinez : veu qu'il les a créés pour nostre bien,
et non pas pour nostre dommage. Parquoy nul ne tiendra plus
droicte voye, que celuy qui regardera diligemment ceste fin. Or si
nous reputons en quelle fin Dieu a créé les viandes ; nous trouver-
33 rons qu'il n'a pas seulement voulu pdurveoir à nostre nécessité :
mais aussi à nostre plaisir et recreation. Ainsi aux vestemens,
oultre la nécessité, il a regardé ce qui estoit propre et convenable
aux herbes, arbres et fruictz : oultre les diverses utilitez
qu'il nous en donne, il a voulu resjoüyr la veuë par leur beaulté^