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Les Médecins au Cambodge - Odris

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Ces références sont éloignées de celles de M. Lay Nonn, le kru “moderniste” dont la<br />

pratique, on s'en souvient, était sans référent religieux ou ésotérique.<br />

Si l'on compare le rapport <strong>au</strong> savoir et à sa transmission chez ces deux<br />

types de kru, on relève des différences de deux ordres. M. Kaev dispose, lui <strong>au</strong>ssi, de<br />

documents écrits – deux petits cahiers d'écolier sur lesquels il a noté des listes de<br />

préparations et des diagrammes de protection (yoan, y&nþ, du sanscrit yantra, litt.<br />

“support”, diagramme mystique). Toutefois, ces cahiers ne sont pas des manuels qui<br />

consigneraient un savoir standardisé et anonyme, à la façon des livrets édités par le<br />

Centre de Médecine Traditionnel où enseigne M. Nonn. Ce sont <strong>au</strong> contraire des sortes<br />

d'aide-mémoires personnalisés, rédigés d'après les enseignements pratiques de ses<br />

anciens maîtres 1, leurs commentaires des “livres techniques” (kbouon, k|Ü n, ou damra,<br />

tRma) 2 et ses expériences propres. Ces traités eux-mêmes ne peuvent être assimilés <strong>au</strong>x<br />

manuels médic<strong>au</strong>x qu'ont voulu y voir les médecins coloni<strong>au</strong>x dans la mesure où ils ne<br />

prennent tout leur sens que grâce <strong>au</strong>x explications des maîtres. Ils fonctionnent plutôt<br />

comme des memoranda dont les clés résident dans les commentaires, l'expérience<br />

pratique et l'activation par la parole3. <strong>Les</strong> différences fondamentales que les<br />

anthropologues ont voulu voir entre sociétés à écriture et sociétés sans écriture, ainsi<br />

que les conséquences de l'introduction du support écrit sur la constitution des savoirs,<br />

étudiées par Jack Goody4, ne sont pas si marquées dans le cas cambodgien. <strong>Les</strong> cahiers<br />

du kru, de ce fait, ne peuvent être considérés comme de simples copies de textes<br />

perpétués de génération en génération.<br />

Une <strong>au</strong>tre différence marque la façon dont Messieurs Nonn et Kaev<br />

conçoivent leur savoir. Celui de M. Kaev est secret pour une bonne part. L'observation<br />

1 M. Kaev a perdu ses notes de jeunesse sous le régime khmer rouge et les a recopiées de mémoire.<br />

2 Ces traités médic<strong>au</strong>x sont copiés <strong>au</strong> stylet sur feuilles de latanier et conservés dans les pagodes ou chez<br />

les kru eux-mêmes. Leur étude approfondie reste à faire. Elle permettrait de percevoir dans leur détail les<br />

analogies avec des traités d'<strong>au</strong>tres pays d'Asie du Sud-Est (tels que la Thaïlande ou la Birmanie) ou<br />

d'Inde. Pour une première approche de la question, voir ANG Choulean (“Apports indiens à la médecine<br />

traditionnelle khmère”, Journal of the European Ayurvedic Society, Reinbeck (Allemagne), 1992, 2 : 101-<br />

114).<br />

3 Peut-être parce que l'alphabétisation n'y a jamais été très développée, le support écrit n'estompe pas<br />

l'oralité dans la société cambodgienne. Aujourd'hui encore, écoliers et étudiants préfèrent lire les textes en<br />

compagnie et à h<strong>au</strong>te voix plutôt que seuls et en silence.<br />

4 Jack GOODY, La raison graphique. La domestication de la pensée s<strong>au</strong>vage, Paris : <strong>Les</strong> Editions de<br />

Minuit, 1979, 275 p [1ère éd. anglaise 1977].

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