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Les Médecins au Cambodge - Odris

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rouge vif, signe que le vent est sorti ou remonté à la surface1. Ce sont, en général, les<br />

premiers soins prodigués à un malade et, parfois, à un animal2. Pour comprendre ce que signifie la pratique commerciale de koh khyol et<br />

le statut que confère cette activité à Sophea et à ses collègues, il f<strong>au</strong>t donner quelques<br />

détails sur les rapports soci<strong>au</strong>x qu'elle met en jeu3. Koh khyol est une technique<br />

proprement domestique, prodiguée par un membre de l'entourage, qui ne fait l'objet<br />

d'<strong>au</strong>cune visite à un thérapeute. C'est un service assez fatigant qui dure entre une demiheure<br />

et une heure et qui se rend entre ég<strong>au</strong>x ou des cadets vers les aînés (<strong>au</strong> sens<br />

générationnel ou social). Dans la mesure où cette activité <strong>au</strong>torise une manipulation<br />

corporelle dans l'espace domestique, des interdits pèsent sur elle. Ainsi, les femmes et<br />

les filles se dévouent habituellement (en tant que “cadettes4”) pour le koh khyol de leurs<br />

pères, époux ou frères germains. Le service n'est en revanche pas admis envers les<br />

<strong>au</strong>tres hommes, en particulier ceux qui appartiennent à la catégorie des “grands frères”<br />

ou des “oncles cadets” pour lesquels des conduites d'évitement sont de règle.<br />

Dans cette perspective, le commerce de Sophea est donc doublement<br />

marginal et stigmatisé puisqu'elle pratique le koh khyol hors de l'espace domestique (ou<br />

familier), pour des clients de la génération des “grands frères” (bang) et des “jeunes<br />

oncles” (pou). Et, de fait, un dernier concours de circonstances malheureux l'a conduite<br />

à exercer une activité qui associe service thérapeutique et prostitution occasionnelle.<br />

En effet, Sophea se marie avec un soldat qui meurt <strong>au</strong> front en lui laissant<br />

seule le soin de leur enfant. Sans argent et sans logement, elle décide de louer une<br />

chambre dans une “maison à koh khyol”, qu'elle partage avec six <strong>au</strong>tres femmes. Elle<br />

habite et travaille de sept heures à dix-huit heures dans cette pièce unique. A l'instar de<br />

ses compagnes, elle a diversifié ses services en proposant également le massage (tveu<br />

1 Un “Traité pour attraper les vents” traduit par Martine PIAT (“Médecine populaire <strong>au</strong> <strong>Cambodge</strong>”,<br />

Bulletin de la Société des Etudes Indochinoise, 1965, nouvelle série, XL, 4, pp. 307-315) fait la liste<br />

d'<strong>au</strong>tres endroits du corps qu'il convient de pincer. Martine PIAT émet l'hypothèse que ces endroits<br />

devaient constituer <strong>au</strong>trefois un ensemble organisés de points vit<strong>au</strong>x.<br />

2 Nous l'avons vu pratiquer une fois sur un chien domestique malade, par une Cambodgienne d'origine<br />

vietnamienne.<br />

3 <strong>Les</strong> observations sur lesquelles nous nous basons ont été faites dans des familles.<br />

4 L'épouse est socialement considérée comme la cadette de son mari qui l'appelle <strong>au</strong>n (litt. “sœur<br />

cadette”) alors qu'elle l'appelle “frère aîné” (litt. bang). Pour une analyse des rapports de sexe et de<br />

génération dans la société cambodgienne, voir Jacques NEPOTE, Parenté et organisation sociale dans le<br />

<strong>Cambodge</strong> moderne et contemporain, Genève : Olizane, 1992, 255 p.

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