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Les Médecins au Cambodge - Odris

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misérable, est soumise <strong>au</strong> regard de l'<strong>au</strong>tre) ou la “compassion” qui, dans le<br />

vocabulaire de Hannah Arendt, ne s'applique qu'envers des êtres souffrant<br />

singuliers1. L'éthique médicale occidentale, telle que nous l'avons vue mise en œuvre<br />

dans les hôpit<strong>au</strong>x cambodgiens, prône la compassion qui consiste étymologiquement<br />

à “prendre part à la souffrance d'<strong>au</strong>trui” 2 donc à s'imaginer à sa place, à s'identifier à<br />

lui – bien que des techniques de distanciation, nécessaires à l'accomplissement du<br />

travail quotidien, soient utilisées. Or la “compassion” ainsi définie ne participe pas<br />

de l'économie affective cambodgienne, basée sur d'<strong>au</strong>tres principes. Une certaine<br />

forme de “pitié” (appelée aneth, GaNit, sur laquelle nous reviendrons), de même que<br />

la volonté d'aider <strong>au</strong>trui, de soulager la souffrance, ne sont pas pour <strong>au</strong>tant absents,<br />

est-il besoin de le préciser, des comportements et des pratiques sociales mais elles<br />

sont régies par des principes qui n'appellent pas cette identification car ils sont issus<br />

du bouddhisme qui imprègne profondément les représentations du monde et de<br />

l'individu.<br />

Au terme habituellement utilisé de compassion bouddhique (karunâ),<br />

nous préférerons celui de“bienveillance universelle” car “partager la souffrance”<br />

constitue presque un non-sens si l'on revient à la signification réelle et profonde du<br />

concept bouddhique central de dukkha, terme pali habituellement traduit par<br />

“souffrance” 3 mais qui recouvre en fait différents nive<strong>au</strong>x d'abstraction qui sont <strong>au</strong><br />

cœur de la pensée bouddhique primitive4. Certes, l'expérience ordinaire de la<br />

1 Luc BOLTANSKI, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris :<br />

Editions Métailié, 1993, p. 15-20. L'emprunt de cet <strong>au</strong>teur à Hannah ARENDT figure dans Essai sur<br />

la révolution, Paris : Gallimard, 1967, pp. 82-165.<br />

2 Alain REY, Dictionnaire historique de la langue française, Ed. Dictionnaires/Le Robert, 1995, Art.<br />

“Compatir”, p. 458.<br />

3 Dans la langue khmère courante, tuk (Tuk¡ ) issu de dukkha, a également pris le sens de “souffrance,<br />

malheur”. On trouve une explication du concept de dukkha notamment dans Walpola RAHULA,<br />

L'enseignement du Bouddha. D'après les textes les plus anciens, Paris : Ed. du Seuil (coll. “Points<br />

Sagesses”), 1961, 191 p. Nous nous appuyons <strong>au</strong>ssi sur notre communication (avec Pierre-Jean<br />

SIMON), “<strong>Les</strong> bouddhismes <strong>au</strong> Viêt Nam et <strong>au</strong> <strong>Cambodge</strong>. Doctrines et cultes”, communication <strong>au</strong><br />

colloque “Cheminements en France. Cambodgiens, Lao, Hmongs, Viêtnamiens”, Rennes, Association<br />

D'une Rive à l'<strong>au</strong>tre/ CERIEM/ Maison Internationale de Rennes, 13 oct. 2000.<br />

4 La doctrine bouddhique ancienne s'est diversifiée dans les siècles suivant la disparition du Bouddha<br />

historique, en 480 avant J.C., en se scindant en différentes écoles et en s'insérant dans diverses<br />

sociétés hors de l'Inde. Après le VIII ème s. A.D., le bouddhisme décline assez rapidement en Inde<br />

tandis qu'il se développe en d'<strong>au</strong>tres lieux et notamment <strong>au</strong> Sri Lanka (Ceylan), <strong>au</strong> XII ème s. A.D.,<br />

sous sa forme theravadin : le theravada signifiant “Ecole des anciens” représente, dit-on, la forme

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