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Les Médecins au Cambodge - Odris

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circulation. Le malheureux verra immanquablement son voisin lui adresser la parole<br />

avec réticence et les conversations éviteront systématiquement ce sujet.<br />

Ainsi, l'existence individuelle est-elle insérée dans plusieurs<br />

temporalités qui donnent un sens à la vie et <strong>au</strong>x événements qui la traversent –<br />

comme la maladie. Ces temporalités sont “emboîtées” les unes dans les <strong>au</strong>tres,<br />

pourrait-on dire : la vision, abstraite et sur le long terme, du karma et du cycle des<br />

renaissances, englobe les <strong>au</strong>tres perspectives relatives à l'évolution de l'individu.<br />

Vient ensuite celle de la continuité familiale et de ses divers génies protecteurs et,<br />

enfin, celle, ici et maintenant, des symptômes immédiats, des éventuelles attaques en<br />

sorcellerie1, des fluides corporels et des esprits vit<strong>au</strong>x.<br />

Ces représentations et les observations qui la nourissent guident plus<br />

ou moins le choix d'un thérapeute. S'agissant toujours de la tuberculose par exemple,<br />

il est évident pour tout Cambodgien qu'un soupçon de maladie post-partum toah<br />

exclut d'emblée les services biomédic<strong>au</strong>x puisque ceux-ci ne connaissent pas cette<br />

maladie2 et nient parfois son existence. Elle exige de recourir à un kru car elle est<br />

souvent trop grave pour être soignée uniquement grâce à l'<strong>au</strong>tomédication, laquelle<br />

consiste en une pharmacopée végétale utilisant, selon les maisonnées, de trois à une<br />

vingtaine de plantes, dont certaines sont entretenues dans l'enclos familial. Lorsque la<br />

tuberculose est perçue comme un événement négatif qui prend place dans une série<br />

d'incidents plus ou moins sérieux survenus dans la vie personnelle ou familiale, elle<br />

relève d'une vision en terme de chance et de karma 3 – et le recours à un bonze<br />

capable de “relever la chance” (leuk reasey, elIkrasI), c'est-à-dire d'opérer une sorte<br />

de redressement karmique, est nécessaire et très fréquemment pratiqué, même si l'on<br />

1 Ces attaques ne semblent pas très fréquentes et ne prennent en tout cas pas l'ampleur qu'elles<br />

peuvent avoir dans de nombreuses sociétés d'Afrique.<br />

2 Une spécialité en psychiatrie existe à nouve<strong>au</strong> <strong>au</strong> <strong>Cambodge</strong> depuis 1996. <strong>Les</strong> jeunes psychiatres<br />

identifient toah à une dépression post-partum et le prennent donc en charge à présent, dans l'unique<br />

service de psychiatrie du pays, à l'hôpital Prah Sihanouk (l'ex-Hôpital de l'Amitié Khméro-<br />

Soviétique). Voir ANG Sody, A Descriptive Study of Cultural Presentation of Postpartum Psychiatric<br />

Disorder “toas” in Cambodia, Thesis (Post graduated specialist training in Psychiatry), Phnom Penh,<br />

Cambodian Mental Health Training Program, Feb. 1998, 38 p.<br />

3 Dans les conversations courantes, “karma” n'est utilisé en khmer que sous sa forme négative, alors<br />

que dans la théorie bouddhique, il est neutre : les “fruits du karma” (kamaphol) désignent les<br />

conséquences des m<strong>au</strong>vaises actions des vies antérieures qui, tels des fruits, ont mûri pour produire<br />

leurs effets négatifs dans la vie présente.

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