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Les Médecins au Cambodge - Odris

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désapprouvé peut être rejeté voire même “boycotté” par le personnel d'un dispensaire<br />

comme l'exemple suivant en est une illustration particulièrement nette :<br />

Une nouvelle patiente, jeune femme de vingt-huit ans, est arrivée dans<br />

le service et je découvre l'horreur de sa situation. Elle vit avec un homme<br />

marié et l'épouse légitime de ce dernier l'a aspergée d'acide de batterie de<br />

voiture pendant son sommeil. C'est là un sort qui n'est pas inhabituel pour les<br />

“secondes épouses” (propon chong, littéralement “épouse de la fin” 1). Elle a<br />

le visage entièrement brûlé, noir comme les victimes du napalm. Noëlle<br />

[infirmière] est en colère : “Cette malade est arrivée dimanche [quatre jours<br />

<strong>au</strong>paravant]. Ils [Le personnel cambodgien] l'ont laissée dans un coin et ne<br />

s'en sont pas occupés. Quand je l'ai vue mardi, j'ai commencé les soins.<br />

Jusque-là, elle avait de la ch<strong>au</strong>x sur le visage [mis par la famille] et c'est tout.<br />

On ne lui avait rien fait. J'ai failli tourner de l'œil tellement c'était moche. Pour<br />

le moment il n'y a rien à faire à part désinfecter avec une crème. Il f<strong>au</strong>t<br />

attendre la desquamation. Maintenant, les infirmières [cambodgiennes] lui<br />

font les pansements.” Noëlle surveille attentivement les soins prodigués à cette<br />

patiente par Sethavy [infirmière]. Au moment où celle-ci estime sa tâche finie<br />

et s'apprête à tout ranger, Noëlle l'interpelle assez rudement : “Eh ! Ce n'est<br />

pas fini, il reste la tête à faire !” L'infirmière s'exécute sans mot dire, le visage<br />

fermé.<br />

Plus tard, dans la salle de soins, les infirmières cambodgiennes<br />

parlent de cette patiente brûlée. Elles la traitent de propon chong avec mépris.<br />

“C'est une chercheuse d'histoires et ce qui lui arrive est bien de sa f<strong>au</strong>te : elle<br />

est allée chez la première femme pour l'insulter parce que celle-ci avait<br />

demandé à son mari (qui vit avec la 'seconde épouse') de venir voir son enfant<br />

malade. Et en plus, la propon chong est restée dormir là. C'est une sale<br />

femme”. Noëlle, arrivée entre temps, proteste : “Pour nous, un malade quel<br />

qu'il soit, quand il arrive à l'hôpital, il f<strong>au</strong>t le soigner, on ne peut pas laisser<br />

quelqu'un souffrir et les raisons sont secondaires”. “Tu n'as qu'à la soigner<br />

toi-même alors !” est la réponse étouffée, en khmer (que Noëlle ne comprend<br />

pas). “Tu verras, Noëlle, si l'épouse légitime vient t'asperger [d'acide] dans<br />

l'hôpital.” (Notes d'observation, dispensaire, mai 1992)<br />

<strong>Les</strong> soins hospitaliers apparaissent donc comme les “produits” soci<strong>au</strong>x<br />

complexes d'interactions et de négociations, tant <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> macrosocial qu'<strong>au</strong> nive<strong>au</strong><br />

local, entre les soignants cambodgiens – qui ne peuvent guère, dans ces temps de<br />

pénurie, exercer sans aide étrangère – les soignants occident<strong>au</strong>x humanitaires et les<br />

1 La polygamie n'est pas <strong>au</strong>torisée par la loi cambodgienne des régimes successifs contemporains. <strong>Les</strong><br />

termes khmers semblent indiquer toutefois une ancienne pratique polygamique. La femme légitime est<br />

appelée propon daeum (RbBnÆ edIm, litt. “épouse de l'origine”) ou propon thom (RbBnÆ ZM, litt. “grande<br />

épouse”). <strong>Les</strong> maîtresses sont <strong>au</strong>ssi appelées “épouses” (propon).

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