volumen xxiii. - Archive ouverte UNIGE
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751 SERMONS. 752"<br />
les tentations ne nous doyvent point sembler ameres,<br />
mais plustost douces, d'autant que nostre Seigneur<br />
les raporte à nostro salut, et qu'il s'en sert<br />
tellement que son nom est glorifié : et que nous profitions<br />
aussi de plus en plus, voire si nous savons<br />
regarder à l'issue. Or en ceste tentation-ci, comme<br />
nous avons touché, Abraham est navré mortellement,<br />
comme si Dieu le vouloit ietter au plus profond<br />
abysme du gouffre de desespoir qu'on puisse<br />
imaginer. Mais cependant il l'a soustenu: car<br />
Abraham selon l'infirmité de l'homme fust défailli<br />
mille fois quand Dieu luy commande de tuer son<br />
fils. Mais encores ce n'est pas le tout qu'Abraham<br />
soit contraint de prendre l'espee pour tuer son fils<br />
propre. Mais il y a une tentation beaucoup plus<br />
grieve, qui est bien à noter, et de laquelle il sera<br />
parlé plus à plein : mais encore maintenant si faut-il<br />
que nous en soyons advertis. Car il n'est pas ques"<br />
tion qu'un enfant qui est bien aimé, qui est le fils<br />
unique, meure, et qu'il meure d'une mort violante<br />
devant les yeux du père, et que le père mesmes<br />
luy coupe la gorge. Ce n'est pas encores le tout<br />
que cela, mais il est question du salut qu'Abraham<br />
attendoit [pag. 237]. Quand les hommes tueroyent<br />
leurs enfaus, ce ne seroit rien au pris. Car il n'y<br />
a celuy qui cognoisse son enfant pour son sauveur:<br />
mais combien qu'Isaac ne fust pas le sauveur<br />
d'Abraham, tant y a qu'il cognoit que de luy viendra<br />
le Sauveur du monde. Où est-ce donc qu'Abraham<br />
cerche toute sa iustice, tout son bien et tout<br />
son salut, si ce n'est en la personne d'Isaac, c'est<br />
à dire, en celuy qui en doit procéder? Or Isaac<br />
est-il mort? voila le monde perdu et damné, voila<br />
le diable qui regne, et qui a la vogue par tout.<br />
Voila Dieu qui est ennemi des hommes et de toutes<br />
creatures. H n'y a plus que l'ire et la vengeance<br />
de Dieu qui est enflammée comme un feu<br />
pour tout dévorer: tant y a qu'il faut que cest<br />
Isaac soit tué de la main d'Abraham, voire d'Abraham,<br />
qui avoit receu ceste promesse de Dieu : le<br />
te donneray un fils qui aura une telle benediction<br />
en luy, que tous les hommes auront leur salut en<br />
la grace que ie luy feray. Cependant il faut que<br />
cestuy-la meure. Voila donc comme i'ay desia dit,<br />
l'enfer qui est ouvert, et faut que le diable domine<br />
en telle sorte que tout soit abysmé. Ce n'est plus<br />
rien de toutes les promesses de salut, puis que celuy<br />
qui devoit apporter la vie de toutes creatures,<br />
s'en va à la mort. Et où est-ce aller? H n'est<br />
pas question ici de navrer d'afflictions et de douleurs<br />
selon l'homme le coeur d'Abraham: mais<br />
[pag. 238] il est question d'occir sa foy et toute l'espérance<br />
qu'il avoit conoeu de son salut. H somble<br />
que Dieu luy vueille faire fouler au pié tout ce<br />
qu'il luy avoit donné d'attente de sa grace et de<br />
sa bonté : brief, il semble qu'il se soit moqué<br />
d'Abraham. Comme s'il disoit: Va, tu n'as esté<br />
qu'une beste quand tu t'es attendu à moy et que<br />
tu m'as suivy: que tu as prins tant de peine de<br />
m'obéir. le t'ay promis lignée, de laquelle tout le<br />
salut du monde viendroit,. i'ay accompli ma promesse<br />
en te donnant ton fils Isaac: mais il faut que<br />
tu luy ailles maintenant couper la gorge, pour te<br />
donner à entendre que ce n'a esté qu'une simplesse<br />
à toy et sottise de te fier en ce que ie t'avoye promis,<br />
et ce que tu as espéré que tu aurois lignée,<br />
et que ceste lignee^la seroit plus précieuse que tout<br />
le monde ne vaut, et cent mille mondes. Car il<br />
est question du salut éternel de ton ame et de celuy<br />
de tous les hommes, et maintenant tu vas effacer<br />
tout cela. Or (comme i'ay desia dit) il est impossible<br />
que nous puissions assez comprendre ces<br />
choses, et que nous en soyons assez touchez au<br />
vif: tant y a neantmoins qu'il nous les faut méditer,<br />
car ce n'est pas en vain qu'elles sont escrittes.<br />
Voila donc, quant à la preface de ceste histoire.<br />
Or venons maintenant à déduire par le<br />
menu ce qui est ici couché par Moyse, Pren ton<br />
Fils unique, tön fils Isaac [pag. 239], ton fils que<br />
tu aimes uniquement. Voila comme Dieu né se<br />
contente point de percer le coeur d'Abraham, comme<br />
s'il luy donnoit un coup de poignard, mais il le<br />
tient à la torture, voire en une torture diverse:<br />
comme si après luy avoir baillé la géhenne, il luy<br />
donnoit les grésillons, et puis qu'il eust encores<br />
une autre espèce de torture. Car s'il luy estoit<br />
commandé de tuer ainsi son fils, n'estoit-ce pas assez<br />
de luy dire, Va, et que tu me sacrifies ton fils?<br />
Mais il luy dit, Pren ton fils, voire ton fils unique,<br />
ton fils Isaac, celuy que tu aimes uniquement:<br />
pour monstrer que toute espérance estoit retranchée<br />
à Abraham. Or quand il dit, Ton fils que tu aimes<br />
uniquement ce n'estoit pas une amour paternelle<br />
seulement, comme les pères auront une amour naturelle<br />
envers leurs enfansî mais il falloit qu'Abraham<br />
aimast Isaac selon qu'il prisoit le salut de<br />
son ame et de tout le monde, pour estre compagnon<br />
des Anges et de tout le monde, et pour estre héritier<br />
du Toyaume de Dieu. Finalement voila donc<br />
ce qu'emporte le mot de Fils unique, et bien-aimé.<br />
Et puis le mot d'Isaac qui est ici mis, luy est mis<br />
en avant comme par reproche. Car Dieu avoit imposé<br />
le nom à Isaac, il n'avoit point esté inventé<br />
à la fantasie des hommes. Voila Dieu qui nommé<br />
l'enfant. Et comment? Risée, Matière de ioye.<br />
Or il semble qu'il se moque [pag. 240] maintenant 7<br />
de tout cela : c'est bien à propos, Matière de ioye !<br />
tu te resiouis en Isaac, et te semble bien qu'il n'y<br />
eust que matière de resiouissance. Or il faut que<br />
tu en ayes maintenant une tristesse qui te transperce<br />
le coeur, que tu sois toy-mesme le bourreau<br />
de cest enfant que tu aimes si chèrement, que tu