volumen xxiii. - Archive ouverte UNIGE
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763 SERMONS. 764<br />
Mon fils, me voici. Il luy dit puis après: Voici le<br />
bois, voici le feu, nous allons faire sacrifice. Et<br />
dequoy? car il n'y a point de beste, dit-il, pour<br />
sacrifier. Isaac est desia bien adverti qu'ils vont<br />
faire oblation à Dieu, et il ne sait quelle sera ceste<br />
oblation-la, il le demande. Estoit-il possible<br />
qu'Abraham fust tourmenté iusques-la, et qu'il le<br />
portast? Mais (comme i'ay dit) Dieu ne l'a en rien<br />
espargné, à fin que nous prenions tant plus de<br />
courage quand il sera question de surmonter tout<br />
ce qui nous pourroit desbaucher, et qui nous pourrait<br />
faire eslongner du droit chemin. Voila donc<br />
ce que nous avons à retenir. Il est vray que<br />
Moyse fait un récit tout simple: et quand nous<br />
lirions ces choses sans penser pourquoy elles sont<br />
escrites, il est certain que cela s'en iroit tout froidement,<br />
et que nous n'en serions pas fort esmeus.<br />
Mais quand nous aurons bien pensé en quel estât<br />
pouvoit estre Abraham et quelle destresse il souffroit<br />
desia en son coeur, et que là dessus nous<br />
viendrons à iuger quand ceci luy est adiousté de<br />
nouveau: quelle angoisse ce luy a peu estre quand<br />
son fils luy a dit: Mon père, voila Abraham qui<br />
d'un costé regarde la simplicité de son enfant*, et<br />
puis il peut penser, Helas! tu ne sais à [pag. 263]<br />
quoy tu es appresté. Car si un povre homme est<br />
mené à la mort, et qu'il n'en sache rien, encores<br />
qu'il nous attouche et que nous ne devions pas<br />
estre presens, mais que seulement nous ayons ceste<br />
apprehension: Voila un povre homme qu'on mené<br />
à la boucherie comme un agneau, et il ne s'en<br />
doute point: si nous avons ouy parler de cela, il<br />
est certain que la seule pensée sera pour nous<br />
faire découler les larmes des yeux. Or voici<br />
Abraham qui void son fils, et puis il. le void<br />
comme un agneau, et c'est luy-mesme qui le meine<br />
à la boucherie, c'est luy qui luy doit couper la<br />
gorge, c'est luy qui le doit brûler puis après: et<br />
son fils qui est là luy parle si simplement: Et où<br />
est la beste pour sacrifier? brief, nous voyons quand<br />
auiourd'huy Dieu nous envoyera toutes les afflictions<br />
que nous pouvons imaginer, que ce n'est rien<br />
au pris de ce qu'Abraham a soustenu. Et si nous<br />
alléguons nostre infirmité, si nous disons que nos<br />
passions humaines nous transportent, ne pensons<br />
pas qu'Abraham ait esté de fer ni d'acier non plus<br />
que nous: mais quoy qu'il en soit, si est-ce qu'il<br />
s'est résolu de donner toute maistrise et supériorité<br />
à Dieu, et de s'assuiettir en telle sorte qu'il renonçast<br />
à soy-mesme. Voila, di-ie, où il nous faut<br />
tendre et aspirer, combien que nous ayons beaucoup<br />
[pag. 264] d'obstacles, combien qu'il semble que<br />
nous ne puissions marcher un pas, si faut-il nous<br />
efforcer, voire outre toutes nos forces. Car il n'est<br />
point question ici d'y aller en nostre vertu, comme<br />
si nous estions gens bien habiles: mais attendons<br />
que Dieu nous donne dequoy pour fournir à ce qui<br />
nous est impossible, et outrepasse toutes nos facultez.<br />
C'est donc encores ce que nous avons à retenir.<br />
Et au reste, ne doutons point quand il nous vient<br />
ainsi beaucoup de choses à la traverse, que c'est<br />
Dieu qui y besongne: et ne pensons pas que cela<br />
adviene par fortune: quand d'un costé nous sommes<br />
picquez, que d'autre costé nous avons quelque<br />
alarme, pensons que Dieu conduit et gouverne le<br />
tout: et qu'il le fait, à fin que nous apprenions tant<br />
mieux de nous renger pleinement à luy, et de<br />
n'estre point seulement armez en la teste ou au<br />
bras, mais à dextre et à senestre: que nous soyons<br />
équipez, comme sainct Paul, aussi, quand il nous<br />
exhorte à estre muniz pour batailler vertueusement:<br />
il nous baille et l'espee et le bouclier, et le heaume:<br />
et le halecret, voire iusques aux pieds : il nous arme<br />
là de pié en cap, comme on dit. Et puis il use<br />
d'un mot qui signifie armure de tous costez en<br />
perfection. Et pourquoy? Car s'il semble que<br />
nous soyonB bien apprestez en un endroit, voila le<br />
diable [pag. 265] qui selon sa subtilité trouvera un<br />
autre moyen de nous assaillir, et nous tendra tousiours<br />
quelques embusches. Voila donc pourquoy il<br />
nous faut apprendre de bonne heure de nous<br />
equipper tellement, que le diable ne puisse trouver<br />
nulle bresche, et qu'il ne puisse faire nulle ouverture<br />
pour avoir entree à nous: mais que nous<br />
ayons dequoy le repousser et à dextre et à senestre. '<br />
Et la response que donne Abraham à son fils,<br />
monstre encores mieux cela. Mon fils, Dieu se<br />
pourvoira de sacrifice, dit-il. En ces mots nous<br />
voyons ce qui a esté ci dessus declairé, c'est assavoir,<br />
comme nostre foy doit passer outre ce monde.<br />
Et aussi nous ne pouvons croire en Dieu, sinon<br />
donnant lieu à sa providence, qu'elle ait son cours,<br />
voire par dessus tout ce que nous pouvons iuger<br />
ni appréhender. Et de fait, nous devrions bien<br />
estre enclins à cela si nous considérions les oeuvres<br />
de Dieu, mesmes celles qu'il nous propose devant<br />
les yeux. Si nous pensons au cours de nature,<br />
nous verrons les nuées aller çà et là, et cependant<br />
nous ne savons pas ce que Dieu en doit fairo.<br />
Voila la pluye qui tombera, voila un tourbillon<br />
qui sera eslevé avec une grosse pluye "et soudaine:<br />
voila le ciel qui s'embrouillera en peu d'heure,<br />
qu'au lieu qu'on avoit un beau temps et clair il n'y<br />
aura [pag. 266] qu'obscurité par tout: nous verrons<br />
ces choses, il y aura bien quelques causes naturelles ,<br />
que déduiront les Philosophes, mais encores il est<br />
certain que nous y serons confus. Or que sera-ce<br />
maintenant quand Dieu voudra besongner d'une<br />
façon estrange, et qu'il ne tiendra point l'ordre<br />
commuu ni accoustumé? ne faut-il pas que tous<br />
nos sens soyent là esblouis? Ainsi nous devons avoir<br />
ceste instruction-la d'estre ravis en estonnement