[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

tel-00462108, version 1 - 8 Mar 2010
IV.3.2. Nouvelle à clé ? Nouvelle cryptée ?
Avec quelque exagération le récit pourrait porter le titre générique de nouvelle à clé.
En effet, si on emploie le terme « à clé » pour des textes dans lesquels « les
protagonistes et les lieux renvoient à des personnes et à des endroits réels dont les noms
sont soumis à un cryptage » comme le définit Le Dictionnaire du littéraire 445 , le label
d’une nouvelle à clé paraît favorable aussi pour Les Trois Passants. Non seulement que
Čep y crypte les noms de personnes et de lieux réels, mais le narrateur čepien porte une
attention constante justement au cryptage et à la dissimulation des noms propres. Il va
même jusqu’à souligner leur arbitraire en attribuant un nom à un des personnages de
manière fortuite : « on va l’appeler par exemple Jiří » 446 .
La raison du cryptage s’avère double. L’une externe, relevant du facteur
extralittéraire, équivaut à une exigence d’autocensure. La révélation des noms réels
resterait à peine sans conséquence pour ceux des protagonistes qui sont restés en
Tchécoslovaquie. L’autre facteur, textuel, relève de la stratégie narrative, par le fait
d’insister sur le processus même de cryptage, et constitue un jeu entre le narrateur et le
lecteur qui se voit fortement impliqué dans le récit. En tout cas, le cryptage fut
facilement décelable, voire transparent pour ceux qui servaient de modèles aux
personnages du récit. En témoigne la satisfaction de Čep avouée dans sa correspondance
avec ses amis d’exil :
Deux de ces passants me firent signent de « là-bas » ces derniers temps ; d’une manière ou d’une
autre, ça leur est tombé entre les mains, et naturellement, ils s’y sont reconnus tout de suite. 447
On pourrait envisager le cryptage encore sous un autre angle. D’une certaine
manière, c’est la vie de Čep lui-même qui est codée dans le récit. A l’instar de Pierre
Brunel qui décela maints aspects biographiques cryptés par Gide dans les Faux-
Monnayeurs 448 , nous voyons un chiffrage analogique dans le récit čepien en question.
445 Sous la dir. de P. Aron, D. Saint-Jacques, A. Viala, 2. éd. revue et augmentée, Quadrige/PUF, 2006.
446 « [B]udeme mu říkat třeba Jiří », Œuvres III, p. 348.
447 « Dva z těch pocestných se mi v poslední době ozvali ‘odtamtud’ ; nějak se jim to dostalo do ruky a to
se ví, že se v tom hned poznali. Říkají prý si nahlas i jména těch dvou vsí, která jsem se neodvážil
vyslovit. », Cité par A. Kratochvil, « Vzpomínky na Jana Čepa », in : Konference o díle Jana Čepa
Konference o díle Jana Čepa, op. cit., p. 109.
448 P. Brunel, « André Gide : Les Faux-Monnayeurs. Les vrais et les faux amis. », in : Glissement du
roman au XX e siècle, op. cit., p. 87-109.
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