[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

tel-00462108, version 1 - 8 Mar 2010
dos d’une tombe. Les enfants étaient attirés vers ce trou au fond duquel on pouvait apercevoir, en
s’agenouillent longtemps, des lueurs terribles. « Quelques tessons de verre, » disaient encore les
grandes personnes avec un haussement d’épaules dédaigneux. Nous, nous y voyions, nous y sentions
une grosse bête accroupie, les yeux comme deux charbons ardents, mi-cochon, mi-chat, la forme
même du mal et de l’horreur. Nous imaginions la bête aux aguets, et qui sortait la nuit, ou quand il n’y
avait personne. Pourquoi les poules, qui venaient picorer ici des vers, des chenilles ou des brins
d’herbe, fuyaient-elles soudain, en faisant claquer leurs ailes et en poussant des gloussements
horrifiés ? 731
L’histoire du trou noir illustre la nature de l’angoisse enfantine qui est en opposition
complète avec la logique rationnelle des adultes. Tandis que l’énigme de l’espace
souterrain attire et horrifie à la fois les enfants, elle engendre chez eux un jeu
d’imagination, elle est niée par les personnes adultes qui n’en sont plus capables. Il est
d’ailleurs assez éloquent qu’on mette en philosophie côte à côte les notions d’angoisse
et celle d’étonnement. Si le mystère de l’univers attire par sa part d’inconnu, il fait aussi
peur précisément parce qu’il est inconnu. Cette mise en valeur du caractère mystérieux
du monde et de l’homme en lui, qui n’est pas réductible à la capacité de cognition
(ratio), ne se limite pas à l’enfance de Čep. Alternant entre la forme de l’angoisse et
celle de l’émerveillement (étonnement), elle persiste au cours de toute sa vie. C’est cette
partie de l’enfance, nécessaire à tout poète comme nous l’avons fait remarquer ailleurs,
qui est la source de sa création littéraire et de sa vision singulière. L’anecdote du « trou
noir » est suivie dans le récit par d’autres manifestations de l’émerveillement et de
l’angoisse pour aboutir à sa consécration finale dans la dernière partie du livre :
Il me revient, avec l’âge, l’une de mes premières intuitions et qui se fait de plus en plus insistante :
que rien ne va de soi ; que ce qui est, pourrait aussi bien ne pas être. Le ciel, les montagnes, les routes,
les rivières, et mêmes les murs et les toits des maisons, ont l’air d’émerger à l’existence au moment
même, sous mes yeux, d’émerger à tout moment de nouveau. Les lois physiques, l’histoire
géologique, cosmologique, n’expliquent pas cette existence, ne la rendent pas nécessaire. Le mystère
reste, inépuisable. 732
VI.2.5. Histoire d’une âme – itinéraire spirituel de Jan Čep
Nous avons déjà fait observer la parenté du texte čepien avec les Confessions de
Saint Augustin. Que pour tous deux, il s’agit plus que toute autre chose de retracer
l’itinéraire spirituel de leur vie, de tirer au clair les axes intérieurs qui formaient leur vie.
Comme c’est une ligne de force, il faut y consacrer un espace particulier.
731 Ma Sœur l’angoisse, op. cit., p. 16-17.
732 Ibid., p. 186.
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