03.07.2013 Views

[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>tel</strong>-<strong>00462108</strong>, version 1 - 8 Mar 2010<br />

dans une situation en quelque sorte schizophrénique : il vit entre <strong>de</strong>ux langues, mais<br />

aussi entre <strong>de</strong>ux espaces (ici/l<strong>à</strong>-bas) et entre <strong>de</strong>ux temps (passé/présent). Cette situation<br />

<strong>à</strong> la frontière <strong>de</strong>s langues, <strong>de</strong>s espaces et du temps entraîne nécessairement <strong>de</strong>s<br />

conséquences profon<strong>de</strong>s et peut mener jusqu’<strong>à</strong> une sorte <strong>de</strong> « dédoublement ». Ici, nous<br />

approchons les questions vraiment délicates <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’être humain, la langue<br />

étant considérée comme une <strong>de</strong>s principales « porteuses d’i<strong>de</strong>ntité » 798 .<br />

Dans la correspondance <strong>de</strong> Č<strong>ep</strong>, ainsi que dans son journal, nous trouvons <strong>de</strong> menus<br />

témoignages du déracinement et du sentiment <strong>de</strong> la scission linguistique. À son ami<br />

Henri Pourrat, il confie qu’il se sent « divisé entre le français et le tchèque », qu’il a<br />

peur d’écrire bientôt « très mal dans les <strong>de</strong>ux langues » 799 . Il éprouve le « sentiment<br />

d’être <strong>de</strong>venu inarticulé ; <strong>de</strong> ne savoir plus ni le tchèque ni le français » 800 .<br />

C<strong>ep</strong>endant, il développe un effort considérable pour perfectionner son français afin<br />

<strong>de</strong> pouvoir l’utiliser comme une langue <strong>de</strong> création. Toutefois, lui-même semble être<br />

très incertain quant aux résultats et s’avère plutôt sc<strong>ep</strong>tique quant <strong>à</strong> la possibilité <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir un écrivain bilingue :<br />

Je lis beaucoup, je tâche <strong>de</strong> me familiariser avec la langue française ; mais je crains qu’il ne soit déj<strong>à</strong><br />

trop tard pour qu’elle puisse <strong>de</strong>venir pour moi un moyen d’expression tout <strong>à</strong> fait spontané ; il sera<br />

encore plus difficile, sinon tout <strong>à</strong> fait impossible, <strong>de</strong> m’en rendre maître au point d’en sentir toutes les<br />

valeurs et toutes les finesses. 801<br />

Cette impression d’impuissance face <strong>à</strong> la langue adoptée est r<strong>ep</strong>érable tout au long <strong>de</strong><br />

l’exil <strong>de</strong> Č<strong>ep</strong>. Dans son cas, on ne peut guère parler d’une assimilation progressive avec<br />

la culture et la langue du pays d’accueil, qui s’achèverait par le fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un<br />

écrivain français et un citoyen français. On ne peut non plus employer ici le terme <strong>de</strong><br />

« transculturation » forgé par Tzvetan Todorov pour désigner l’évolution heureuse d’un<br />

une langue suppose un long travail d’initiation aux multiples subtilités <strong>de</strong> signification, aux expressions,<br />

tournures, métaphores, images, aux figures <strong>de</strong> langage, aux jeux <strong>de</strong> mots, aux doubles sens et, plus<br />

difficile encore, aux manifestations verbales <strong>de</strong> l’humour qui diffèrent largement d’une langue et d’une<br />

culture <strong>à</strong> une autre. », L. Tourn, Chemin <strong>de</strong> l’exil. Vers une i<strong>de</strong>ntité ouverte, Paris, Campagne première,<br />

2003, p. 106.<br />

798 Cf. « L’abandon <strong>de</strong> la langue d’origine et son remplacement par une autre opère une modification dans<br />

la structure intime <strong>de</strong> la pensée et entraîne <strong>de</strong>s conséquences notables. », L. Tourn, op. cit., p. 107.<br />

Cf. aussi l’expérience <strong>de</strong> l’écrivain français d’origine américaine Julien Green. Lorsque ce <strong>de</strong>rnier se<br />

réfugia pendant la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale en Amérique, il s’y sentait comme en exil. Il y écrivit un<br />

livre autobiographique Souvenirs <strong>de</strong>s jours heureux (1942) qu’il entama en français mais qu’il a<br />

finalement écrit en anglais : « En anglais, j’étais <strong>de</strong>venu quelqu’un d’autre. », cité par M. Dollé,<br />

L’imaginaire <strong>de</strong>s langues, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 35.<br />

799 J. Č<strong>ep</strong> <strong>à</strong> H. Pourrat, le 10 octobre 1952.<br />

800 Ibid., le 9. octobre 1950.<br />

801 Ibid., Vendredi Saint 1949.<br />

324

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!