[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

tel-00462108, version 1 - 8 Mar 2010
Il est significatif que Čep raconte ce premier contact avec la mort – ou si l’on veut
avec le mort – à deux endroits différents de son autobiographie. D’abord il en fait le
récit dans le chapitre « Premiers souvenirs », puis y revient plus sobrement dans le
chapitre « Ma foi ». Voici la première relation :
Quant au troisième souvenir, je n’ai pas le moindre doute. Je devais avoir près de trois ans. Un
dimanche [...] après-midi, j’étais couché après le déjeuner, dans notre grande chambre. En me
réveillant, je vois mon père debout à côté de mon lit.
- Viens voir, tu as un petit frère !
Je me lève, je vois, sous les fenêtres, de l’autre côté de la chambre, un banc, ou peut-être une planche
posée sur deux chaises, et là-dessus, un tout petit bébé habillé de blanc, et qui dormait.
- Voilà notre petit Antoine.
Le bébé dort toujours ; je tends la main, j’essaie de soulever une de ses paupières. Mais mon père
arrête mon geste : « Il ne faut pas ! »
A ce moment, j’ai eu l’intuition que ce sommeil-là n’était pas n’importe quel sommeil. Cela a été mon
premier pressentiment de la mort. 724
Faisons un petit commentaire du passage. Le premier constat est que l’expérience
s’imposa dans la mémoire de l’auteur comme particulièrement grave puisque c’est le
premier souvenir dont il est tout à fait sûr (« je n’ai pas le moindre doute »). Le
deuxième constat est que la révélation de la mort est choquante puisqu’elle est d’une
nouveauté dérangeante. L’enfant fait la sieste habituelle du dimanche, ne s’attend pas à
ce qui suivra. A peine réveillé, peut-être encore à demi ensommeillé, son père lui
annonce qu’il vient d’avoir un petit frère. Le spectacle paraît au petit garçon inédit,
voire extraordinaire : un bébé vêtu de blanc dort sur un lit provisoirement préparé (on ne
sais pas si c’est un « banc » ou « peut-être une planche posée sur deux chaises »). Enfin,
constatation capitale : à la suite d’une interdiction paternelle, l’enfant reconnaît que le
bébé est mort. Il n’a pas d’emblée la connaissance de ce qu’est la mort, il a une
« intuition », un « pressentiment ». Il comprend au moins que la mort (et les morts) est
expulsée dans le domaine du défendu, qu’elle est taboue, qu’on ne peut pas l’approcher,
ni même la toucher, qu’elle est radicalement différente de toutes les choses connues.
A cette première entrevue, l’auteur ajoute plusieurs expériences postérieures qui
affinent son appréhension de la mort. C’est entre autres la phrase lâchée presque au
hasard par son père au cours d’une marche commune à l’église paroissiale qui révèle au
petit garçon que la mort est pour tous, que même les personnes les plus proches et qu’on
aime mourront un jour. La réaction du petit Jan est la suivante: « J’ai été impressionné,
724 Ma Sœur l’angoisse, op. cit., p. 11-12.
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