[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

tel-00462108, version 1 - 8 Mar 2010
I.3.2. L’aspect psychique et psychologique
La privation des biens anciens, la misère matérielle sont, certes, très graves ; plus
frappants encore pour l’existence d’un exilé se révèlent la perte affective, la détresse
morale, l’abattement psychique. Nous pourrions prolonger la ligne des termes exprimant
le psychisme et les états d’âme des exilés presque à l’infini : accablement, tristesse,
angoisse, douleur, découragement, dépression, sentiment de manque, de solitude et
d’étrangeté, de déracinement et d’isolement…
L’expérience commune des psychologues et psychiatres ayant eu l’occasion de
soigner les exilés confirme cette vérité sur le primat de la privation psychique 70 . Jan Čep
ne fait pas exception à la règle. La brutalité et la radicalité de l’exil, ainsi que ce qui lui
a précédé, s’ancre au plus profond, influence chaque acte conscient de Čep jusqu’à
pénétrer dans son inconscience, dans les rêves qui deviennent des cauchemars. Les
fantasmes lui ôtent le sommeil puisque, « chaque nuit ou presque », il rêve « d’être
rentré et de ne pouvoir plus ressortir ». Voici comment il décrit à Pourrat le « rêve type
de tous les émigrés » :
La nuit, c’est une galopade de cauchemar, d’hallucination, de querelles imaginaires, de chutes
cosmiques, de retour dans mon pays, inexplicable […] : on se voit rentré là-bas, sans savoir pourquoi
et comment, vos amis en sont gênés et même épouvantés, vous voudriez ressortir, mais vous vous
sentez traqué, mis à nu tout à coup vous fuyez, fuyez, mais toutes les sorties sont barrées, tous les
trains déraillent, les rivières se mettent en travers, débordées, infranchissables… 71
Il n’est pas surprenant que de façon presque identique, un autre émigré de l’Europe
de l’Est se souvienne de ses premières nuits à Paris : Tzvetan Todorov 72 .
Sans aucun doute, ces rêves eurent des répercussions sérieuses sur le psychisme de
Čep dans les premiers temps de son exil ; déjà le fait de les avoir décrits dans son
journal et même à certains de ses amis, témoigne de leur importance et de l’intensité
avec laquelle ces cauchemars se présentaient à l’esprit de Čep et secouaient son
équilibre fragile. Encore en 1952, soit 3 ans après son émigration, il subit un choc dû à
« un terrible cauchemar » d’une telle force, qu’il ne parvient même pas à « réciter les
70 Cf. L. Tourn, op. cit., p. 19, 76 : « Un cadre dépressif, des débordements d’angoisse, des terreurs, des
rêves d’angoisse et des cauchemars répétitifs ou encore, des expériences de dépersonnalisation, voire des
vécus hallucinatoires sont aussi régulièrement présents. » – « […] l’existence de ‘rêve traumatique’
répétitif, les crises de terreur, les débordements incontrôlables d’angoisse, l’insistance de certains troubles
somatiques, l’impossibilité d’élaboration psychique […] ».
71 J. Čep à H. Pourrat, le 15 janvier 1949.
72 Cf . T. Todorov, L’Homme dépaysé, Paris, Seuil (L’Histoire immédiate), 1996, p. 11-12.
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