[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

tel-00462108, version 1 - 8 Mar 2010
monde « occidental » souffre d’autres monstruosités ; mais il ne faudrait pas nommer celles-ci en
passant sous silence celles-là. 222
Ce qui nous intéresse davantage, ce sont les manifestations publiques par lesquelles
Čep prétendait toucher une audience plus large en lui transmettant le message de la
cruauté et de l’arbitraire, non plus vis-à-vis de l’Eglise mais des écrivains et des
intellectuels. Ainsi l’intelligentsia française, qui se targuait depuis toujours de son esprit
d’humanisme et de sa puissance intellectuelle, pourrait-elle peut-être porter plus
d’attention à ses confrères éprouvés.
Il faut mentionner avant tout le discours que Čep a proféré en conclusion du Congrès
du Conseil culturel tchécoslovaque, le 8 juillet 1956 223 . Ce discours fut prononcé devant
un public mixte, qui comptait, outre les élites de l’émigration tchécoslovaque, certaines
personnalités illustres de la représentation politique et culturelle française. Čep semble
dans son discours viser avant tout l’audience française et une des lignes de force fut
justement le sort des écrivains emprisonnés en Tchécoslovaquie :
[…] nous avons beau accepter l’incertitude de notre existence d’intellectuels et d’écrivains émigrés,
nous n’arrivons pas à nous débarrasser d’un fardeau secret, d’une angoisse qui serre notre cœur nuit et
jour : la pensée, la présence hallucinante, à tous les moments de notre vie, de ceux que nous avons
laissés là-bas, et qui souffrent derrière les grilles, entre les murs épais et humides des prisons, dans les
couloirs souterrains de mines. 224
Il attire l’attention des représentants français sur deux procès contre des intellectuels
tchèques qui « sont devenus victimes de l’idéologie et de la police du régime ». Il leur
fait voir la fausseté, voire l’absurdité, des accusations et insiste sur le fait que malgré
certains « aveux spontanés », « leur seul crime consistait à vouloir incarner, dans leur
œuvre, une autre vision du monde que celle qui relève du matérialisme marxiste ». Il
entreprend un travail de sensibilisation en essayant de forcer les Français à imaginer la
transposition du problème dans leur pays :
Figurez-vous qu’un régime politique en France supprime ou élimine les hommes – non seulement
comme Bernanos, Mauriac, Paul Claudel, Péguy, etc. – mais tous ceux susceptibles d’êtres accusés de
spiritualisme, d’idéalisme ou de formalisme, et dont la série, en France, serait infinie. […] je cite ces
noms, toutes proportions gardées ; mais c’est cela qui s’est produit en Tchécoslovaquie et qui n’est
pas en train d’être réparé, malgré qu’on en dise. 225
222 J. Čep à H. Queffélec, le 6 juin 1952.
223 Les extraits essentiels de ce discours furent publiés sous le titre « Quelques réflexions d’un écrivain
tchèque en exil », Bulletin du Comité d’Etudes Culturelles Franco-Tchécoslovaques, n° 1, 1956, p. 6-13.
224 [J. Čep], « Quelques réflexions d’un écrivain tchèque en exil », Bulletin du Comité d’Etudes
Culturelles Franco-Tchécoslovaques, n° 1, 1956, p. 6.
225 Ibid., p. 8.
83