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[tel-00462108, v1] L'exil de Jan ?ep : contribution à l ... - HAL-Inria

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<strong>tel</strong>-<strong>00462108</strong>, version 1 - 8 Mar 2010<br />

lequel il s’exprime » 808 . La parole que l’on reçoit « presque dans le sein <strong>de</strong> [la] mère »<br />

se distingue par l’unicité et l’intraduisibilité ; c’est « une parole unique, intraduisible,<br />

chargée <strong>de</strong> valeurs mélodiques, affectives, métaphysiques » 809 . Selon une <strong>tel</strong>le<br />

conc<strong>ep</strong>tion <strong>de</strong> la parole, il est évi<strong>de</strong>nt que l’œuvre conçue dans une langue unique est,<br />

elle aussi, intraduisible. Chaque tentative <strong>de</strong> transposition dans une autre langue court le<br />

risque <strong>de</strong> mutilation, d’affaiblissement <strong>de</strong> sa valeur artistique. Ainsi semble-il <strong>à</strong> Č<strong>ep</strong><br />

qu’un poème ou même un roman écrit dans la langue maternelle « risque <strong>de</strong> s’affaiblir,<br />

<strong>de</strong> perdre <strong>de</strong> sa force d’incantation et <strong>de</strong> vérité, ou même <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> sens, si l’on<br />

essaie <strong>de</strong> les traduire dans une langue différente » 810 .<br />

Les questions majeures que Č<strong>ep</strong> se pose, sans prétendre y trouver <strong>de</strong>s réponses, sont<br />

les suivantes :<br />

Quelles sont les raisons pour qu’un poète ou un créateur littéraire ait le sentiment <strong>de</strong> ne pas pouvoir<br />

exprimer, traduire, incarner son univers intérieur, sa vision du mon<strong>de</strong> dans une autre langue que dans<br />

sa langue maternelle ? De quel caractère sont les liens secrets qui rattachent la parole aux choses, aux<br />

sentiments ; pourquoi la parole, prise et sentie dans une certaine langue, crée ou recrée-t-elle presque<br />

essentiellement autre chose que si elle était puisée dans une autre langue 811 ? D’où viennent ce<br />

pouvoir <strong>de</strong> suggestion, ces prolongements affectifs et mélodiques, qui font comme une âme et comme<br />

une matière vivante <strong>de</strong> la parole ? 812<br />

Vers la fin, Č<strong>ep</strong> se concentre sur son propre cas, ce faisant « strictement <strong>à</strong> titre<br />

documentaire ». Nous nous permettons d’insérer cet extrait d’une ampleur un peu plus<br />

longue qui éclaircit la problématique <strong>de</strong> la langue chez Č<strong>ep</strong>. Cette citation nous servira<br />

<strong>de</strong> transition vers le chapitre suivant dans lequel nous consacrerons notre effort <strong>à</strong> Č<strong>ep</strong><br />

808 J. Č<strong>ep</strong>, « Un écrivain doit-il s’exprimer nécessairement dans sa langue maternelle? », Bulletin du<br />

Comité d’étu<strong>de</strong>s culturelles franco-tchécoslovaques, n° 2, 1957, p. 56.<br />

809 Ibid. Cf. aussi l’idée <strong>de</strong> Pierre Brunel pour qui la langue est <strong>à</strong> l’écrivain une entité mystérieuse<br />

semblable <strong>à</strong> l’inspiration : « L’idée <strong>à</strong> l’inconscient lointain <strong>de</strong> l’enfance, aux associations intimes les plus<br />

arbitraires, une langue quelconque, pour celui qui la parle et l’écrit, joue le même rôle que l’inspiration<br />

pour le poète : elle <strong>de</strong>meure radicalement incommunicable. », P. Brunel, C. Pichois, A.-M. Rousseau,<br />

Qu’est-ce que la littérature comparée ?, Paris, Armand Colin, 1996, p. 145.<br />

810 J. Č<strong>ep</strong>, « Un écrivain doit-il s’exprimer nécessairement dans sa langue maternelle? », Bulletin du<br />

Comité d’étu<strong>de</strong>s culturelles franco-tchécoslovaques, op. cit., p. 57.<br />

811 Le poète tchèque <strong>Jan</strong> Vladislav suit Č<strong>ep</strong> non seulement en choisissant l’exil parisien en 1981 mais en<br />

prolongeant également cette réflexion <strong>de</strong> Č<strong>ep</strong> dans l’article « O psaní v cizích jazycích » (Ecrire dans les<br />

langues étrangères) où il confirme que « chaque langue introduit dans la littérature une vision du mon<strong>de</strong><br />

différente». Et Vladislav illustre son propos par une citation <strong>de</strong> J. Green : « Parfois, les mots peuvent<br />

changer la direction même du livre, si l’auteur possè<strong>de</strong> seulement un peu <strong>de</strong> sens pour la musique <strong>de</strong> la<br />

langue. Il existe tout un registre d’idées, que seul le français peut suggérer, tout comme existe un registre<br />

d’idées que seulement l’anglais peut engendrer et pleinement exprimer. » [Někdy mohou slova změnit<br />

dokonce samo zaměření knihy, má-li autor jen trochu smyslu pro hudbu jazyka. Je celý rejstřík myšlenek,<br />

jež může vnuknout jedině francouzština, právě tak jako existuje rejstřík myšlenek, které dove<strong>de</strong> vyvolat a<br />

plně vyjádřit jen angličtina], J. Vladislav, Pařížský zápisník (Le carnet parisien), I., 81/89, Praha, Orbis,<br />

1991, p. 295.<br />

812 J. Č<strong>ep</strong>, « Un écrivain doit-il s’exprimer nécessairement dans sa langue maternelle? », Bulletin du<br />

Comité d’étu<strong>de</strong>s culturelles franco-tchécoslovaques, op. cit., p. 56-57.<br />

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