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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Le paradoxe chez ... - e-Sorbonne

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la doxa. Si la non-dualité est à la base du monde talensien, la structure duelle de la morale<br />

devrait aussi mener à des <strong>paradoxe</strong>s. Or, nous remarquons que les <strong>paradoxe</strong>s relevés dans le<br />

corpus ne remettent pas véritablement en cause des jugements mais un mode de<br />

fonctionnement, une organisation : nous l'avons vu dans l'étude des traits syntaxiques, c'est la<br />

logique qui est bouleversée, ce qui laisse entendre que c'est la forme qui est mise en cause,<br />

non le contenu. Nous ne voyons donc pas <strong>chez</strong> Talens un usage moral des <strong>paradoxe</strong>s fondés<br />

sur des jugements, mais principalement une utilisation contre un système de pensée et<br />

d'appréhension du monde. Aussi trouvons-nous des <strong>paradoxe</strong>s mettant en cause un système de<br />

valeurs, et non une morale 700 .<br />

<strong>Le</strong> système de valeurs qui régit la doxa est fondé sur l'opposition positif/négatif et non<br />

sur bien/mal, même si l'on peut souvent les confondre. <strong>Le</strong> <strong>paradoxe</strong> qui inverse les valeurs<br />

conserve la dualité des deux pôles auxquels elle attribue une valeur contraire. Ainsi, les<br />

700 Nous n’avons trouvé qu’une seule proposition qui constitue un <strong>paradoxe</strong> moral, c’est-à-dire qui contredit<br />

l’opinion issue de la morale judéo-chrétienne :<br />

« hay que educar en el incesto » dijo<br />

H. mientras tu cuerpo (tu moi spazioso corpo)<br />

liberado ajeno<br />

a toda esta presunta manipulación<br />

se funde en un río que jamás abandonas<br />

Parmi les principaux interdits moraux de la société occidentale, outre l’interdiction de tuer ou de voler,<br />

l’inceste occupe une place centrale : il s’agit là d’un des tabous les plus enracinés et inamovibles comme<br />

l’indiquait Freud dans un court texte où il expose le célèbre complexe d’Oedipe. Si l’inceste est un mouvement<br />

naturel des jeunes enfants, un point essentiel de leur éducation est alors de les en détourner, en le dénotant et en<br />

le connotant négativement, en le condamnant moralement : « l’inceste, c’est mal ».<br />

Ainsi, lorsque la proposition citée avance le contraire, que l’éducation doit se faire par l’inceste, c’est la<br />

morale elle-même qui est remise en cause : ne pas prendre l’inceste pour un tabou, c’est nier sa valeur négative,<br />

c’est ne pas reconnaître que « l’inceste, c’est mal ». Par conséquent, la morale en cours dans la société est<br />

différente de celle exposée en creux dans la proposition, et dire « hay que educar en el incesto » est un <strong>paradoxe</strong>,<br />

une affirmation qui ne peut être acceptée par l’opinion.<br />

Mais il faut mettre une réserve à la critique de la morale dans l’œuvre de Jenaro Talens. Premièrement,<br />

comme nous le disions, cette proposition est la seule à critiquer si ouvertement la morale, un tabou social comme<br />

l’inceste. Cette présence unique invite à penser que c’est un sujet d’une importance très faible par rapport à<br />

d’autres thèmes récurrents comme les <strong>paradoxe</strong>s du moi par exemple. Ensuite, le fait que cette proposition sur<br />

l’inceste apparaisse explicitement comme une citation par l’usage des guillemets le sépare complètement de la<br />

voix poématique : ce n’est pas le moi qui énonce le <strong>paradoxe</strong> et en assume la signification mais un énigmatique<br />

H. Que l’auteur des propos tenus soit signifié et cité n’est pas sans incidence sur l’adhésion ou non du moi<br />

poématique sur ce qui est dit. D’autres exemples dans les poèmes talensiens nous montrent que la voix du poème<br />

récupère et fait siennes des phrases entières qui à l’origine venaient d’un autre ouvrage sans qu’aucun signe<br />

distinctif (graphique ou autre) ne vienne signifier cette différence de source. Parfois encore, un vers mis en<br />

italique peut aider le lecteur à percevoir cette récupération. Mais alors, l’absence de guillemets fait que le moi<br />

poématique s’approprie complètement les propos tenus. En revanche, la présence de guillemets provoque une<br />

mise à distance entre la voix du poème, et la proposition.<br />

Ainsi, dans cet exemple de l’inceste faut-il être mesuré : par son unicité et par la mise à distance de la voix<br />

poématique, nous ne pensons pas que la morale soit réellement niée ou remise en cause dans l’œuvre talensienne.<br />

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