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IMG - Archipel - UQAM

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la beauté en énonçant de manière progressive les modalités de sa reconnaissance, il ne s'intéresse pas<br />

directement aux préceptes qui permettraient de la produire. On en arrive ainsi à concevoir que ce n'est<br />

pas nécessaire ou même pas possible. Il me semble alors important de rappeler, justement parce que<br />

l'impact de la théorisation kantienne a renvoyé dans l'ombre ce que j'appellerais les étapes<br />

intermédiaires, que les réflexions esthétiques de la Renaissance comportaient encore directement un tel<br />

souci descriptif concret. Il témoignait encore du rattachement de l'art à l'artisanat et cela même si ce<br />

que l'on peut appeler anachroniquement la lutte de l'époque s'efforçait par ailleurs d'assurer aux arts<br />

de la représentation le statut des arts libéraux. En effet, celui-ci pouvait assurer aux «artistes» urie<br />

indépendance et une reconnaissance sociale supérieures que celle que leur réservait l'appartenance de<br />

leur discipline aux arts mécaniques. L'âge classique énoncera ses préceptes de manière beaucoup plus<br />

abstraite, comme le fait aussi à la même époque le droit, la science et le politique, puisqu'ils<br />

s'adressent à des praticiens dont le statut s'est déjà élevé au niveau de l'universel, de la praxis<br />

commune et de ses normes. À partir de Kant, où l'individu comme tel est déjà devenu le seul sujet<br />

universel ontologique subsistant, cette distinction entre arts libéraux et arts mécaniques est en quelque<br />

129<br />

sorte déjà sortie de l'horizon, en même temps que le côté pratique ou praxique de l'art, et toute la<br />

question de l'esthétique peut désormais se déplacer du côté radicalement subjectif du jugement de<br />

goût. Ce sont alors les concepts de génie et de spontanéité créatrice qui viendront s'inscrire dans la<br />

place qu'occupaient jusqu'alors les prescriptions normatives que la théorie de l'art adressait aux<br />

praticiens de l'art, qui restaient des sujets particuliers. On est en présence d'une double abstraction,<br />

tant du côté de l'objet que du sujet, et le domaine de l'art est désormais virtuellement ouvert à tous<br />

puisque toute sa spécificité a été reportée sur l'ordre du jugement subjectif et condensée en lui seul.<br />

L'art, en ses conditions idéales, échappe alors à ses conditions sociales et communes de production et<br />

donc d'existence. C'est par là, ou pour cela, qu'il peut désormais aussi assumer une fonction générale<br />

de sublimation servant de compensation à la prédominance croissante de la rationalité instrumentale<br />

dans le développement des sociétés modernes 33o .<br />

Évoquant et recherchant un idéal du beau, qui nous anime ou qui anime notre quête, illusoire<br />

mais incontournable, on peut se demander à la manière de Platon si cette idée n'est pas supérieure à<br />

toute expression objective du beau. Plus encore, n'est-ce pas finalement sa possibilité qui s'évanouit et<br />

330 Michel Freitag ne juge d'ailleurs pas seulement de manière négative cette fonction de compensation puisqu'elle<br />

va permettre de cristalliser ou catalyser le maintien d'une dimension de synthèse dans la constitution identitaire et<br />

normative des sociétés modernes. L'humanisme en sera porteur et elle survivra donc avec lui ou à travers lui dans<br />

l'univers de référence idéologique des sociétés modernes jusqu'au XX C siècle. Elle se manifeste aussi bien dans la<br />

formation de leurs membres que dans la constitution et la légitimation de la nouvelle forme du pouvoir qui leur est<br />

propre, et qui est celle de l'État national, ce qui pelmet à celui-ci de maintenir cette valeur expressive que lui<br />

assurait antérieurement directement la religion. Voir à ce sujet le chapitre sur l'humanisme dans l'ouvrage à<br />

paraître, L'abîme de la liberté.

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