26.06.2013 Views

IMG - Archipel - UQAM

IMG - Archipel - UQAM

IMG - Archipel - UQAM

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

155<br />

La littérature allemande est peut-être la seule qui ait commencé par la critique; partout ailleurs<br />

la critique est venue après les chefs-d'œuvre; mais en Allemagne elle les a produits. L'époque<br />

où les lettres y ont eu le plus d'éclat est cause de cette différence. Diverses nations s'étant<br />

illustrées depuis plusieurs siècles dans l'art d'écrire, les Allemands arrivèrent après toutes les<br />

autres, et crurent n'avoir rien de mieux à faire que de suivre la route déjà tracée; il fallait donc<br />

que la critique écartât d'abord l'imitation pour faire place à l'originalité. [...] Ce qui importe à<br />

l'histoire de la littérature, c'est qu'un Allemand ait eu le courage de critiquer un grand écrivain<br />

français, et de plaisanter avec esprit le prince des moqueurs, Voltaire lui-même. C'était<br />

beaucoup pour une nation sous le poids de l'anathème qui lui refusait le goût et la grâce, de<br />

s'entendre dire qu'il existait dans chaque pays un goût national, une grâce naturelle, et que la<br />

gloire littéraire pouvait s'acquérir par des chemins divers. Les écrits de Lessing donnèrent une<br />

impulsion nouvelle; on lut Shakespeare, on osa se dire Allemand en Allemagne, et les droits de<br />

l'originalité s'établirent à la place du joug de la correction. Lessing a composé des pièces de<br />

théâtre et des ouvrages philosophiques qui méritent d'être examinés à part; il faut toujours<br />

considérer les auteurs allemands sous plusieurs points de vue. Comme ils sont encore plus<br />

distingués par la faculté de penser que par le talent, ils ne se vouent point exclusivement à tel ou<br />

tel genre; la réflexion les attire successivement dans des carrières différentes. 402<br />

Ce mélange est aussi présent dans l'œuvre de Winckelmann que je traite par ailleurs et dont le<br />

même témoin pertinent nous dit: « des poètes, [avant lui], avaient étudié les tragédies des Grecs pour<br />

les adapter à nos théâtres. On connaissait des érudits qu'on pouvait consulter comme des livres; mais<br />

personne ne s'était fait pour ainsi dire un païen pour pénétrer l'antiquité 403 ». Il y a, à leur suite, dans<br />

les œuvres musicales qui se libèrent à la fois de la tragédie françaisc et du modèle italien, le désir de<br />

retrouver les sources et l'esprit du théâtre grec. Mais, ainsi que le note Élisabeth Brisson, il en ressort<br />

« une image de la Grèce à l'usage d'un art allemand auquel il s'agissait de trouver des origines, et<br />

auquel il fallait offrir un élan, une dynamique, plus que des modèles à imiter 404 ». C'est ce que<br />

Feneyrou nomme justement une « hellade idéologique» qui emporte Beethoven et ses contemporains.<br />

Il y a aussi un cheminement progressif des esprits de l'heure qui porte un sens de l'éloignement du<br />

Dieu, de la Gottferne. Ainsi que le note Laurent Feneyrou dans son même commentaire, Beethoven<br />

« s'inscrit dans la religion de l'art de Schelling, où l'artiste, rédempteur, luttant contre la dissolution<br />

des valeurs issue de la sécularisation, médiatise, à l'aune de ses propres tourments et de son propre<br />

sacrifice, le lien entre humanité et absolu ». C'est donc ainsi que l'on peut lire la dernière incantation<br />

du Testament d'Heiligenstadt et c'est en cela qu'il s'inscrit dans l'esprit de son temps. Pouvait-on alors<br />

être allemand, au plein sens du terme, sans associer indistinctement des questionnements sur la nature,<br />

l'absolu, l'individu, l'idéal, la liberté, les arts et la philosophie? Germaine de Staël accorde à<br />

Winckelmann une influence peut-être trop considérable sur les causes de ce Zeitgeist mais elle en<br />

décrit puissamment les effets:<br />

402 Germaine de Staël, « De l'Allemagne », in Œuvres complètes, vol.2, Paris, Firmin Didot, 1871, p.52.<br />

403 Idem.<br />

404 Élisabeth Brisson, Le Sacre du musicien, la référence à l'Antiquité chez Beethoven, op ciL, pA7.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!