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dorénavant une symphonie, c'est aussi « du Beethoven» et plus seulement de la musique. Géniale, la<br />

figure du compositeur se devait de l'être, conformément aux impératifs kantiens, et elle s'hypertrophie<br />

progressivement pour en faire le maître absolu du matériau sonore. Cédant la direction au chef<br />

d'orchestre, il quitte la pratique directe pour devenir un magicien de coulisse, un deus ex machina. Il<br />

accède ainsi au statut de l'artiste tel que nous le connaissons et cette confirmation intervient même si<br />

les formes de son exercice deviennent plus cantonnées. Le Sturm und Drang, notamment, qui a conduit<br />

à la radicalisation de la langue des affects, a fait émerger la nécessité pour le compositeur de livrer le<br />

plus profond de sa sensibilité et d'en faire le point de mire de son œuvre. Jadis, objet du divertissement<br />

du public, l'œuvre exécutée, en tant que représentant de son créateur, va devenir pleinement sujet et<br />

l'auditeur objet d'une relation dans laquelle il essaie de l'approcher et de la comprendre. Désormais<br />

l'écoute d'une œuvre musicale relève d'un culte, on n'a plus le choix que de s'abandonner à ['œuvre<br />

ou s'en détourner. Franz Liszt (1811-1886), musicien, concertiste célébré et idole internationale avant<br />

même que cette dimension devienne une des composantes de la représentation sociale de l'artiste,<br />

prend aussi la plume pour parler de son art et de celui de ses pairs. Dans son essai paru en 1855,<br />

Berlioz und seine Harold Symphonie, il prend la défense du compositeur français et y développe sa<br />

conception de la musique. En digne héritier des premiers romantiques, il en fait l'art par excellence du<br />

sentiment et de l'infini, sublimant même peut-être et directement les paradoxes dc Kant. «Si la<br />

musique possède un avantage par rapport aux autres moyens dont dispose l'homme pour traduire les<br />

impressions de son âme, elle le doit à cette suprême qualité de pouvoir communiquer chaque vibration<br />

intérieure sans avoir recours aux formes si diverses et pourtant si limitées de la raison, ce que ces<br />

dernières ne font que rendre possible en confirmant ou en décrivant nos affects [...] Sur les ailes de<br />

l'art infini, il nous entraîne vers des régions dans lesquelles seul lui a le droit de pénétrer, où, dans un<br />

air épuré, le cœur peut se déployer et intuitivement participer à l'essence d'une vie spirituelle sans<br />

enveloppe corporelle 393 » Pour lui, elle est donc bien cette forme suprême des activités de l'esprit où<br />

on reconnaît des échos de la consolation de Schopenhauer et l'artiste qui l'incarne (à tous les sens du<br />

mot) en est lui-même transcendé. De manière complémentaire, et donc paltiellement contradictoire, les<br />

questionnements, notamment allemands, sur l'art en général à la fin du XVIIIe et au début du XIX·<br />

siècle auront contribué, dans leurs formes mêmes, à l'effacement des frontières entre les arts. La<br />

musique, expression de l'inconscient, s'apparente de plus en plus à l'énoncé discursif. Au-delà du<br />

cadre formel ou disciplinaire de la composition elle-même, on pourrait dire que le compositeur devient<br />

ainsi écrivain à sa façon et s'inscrit, directement ou non, dans l'intellectualité de son temps. Car<br />

l'exaltation de la figure individuelle de l'artiste participe par toutes ses dimensions du Zeitgeist. Pour<br />

393 Franz Liszt, Gesammelte Schriften, vol.IV, Leipzig, Breitkopf & Hiil1el, 1910, p.1 07-11 O. Cité par Mathieu<br />

Schneider, Destins croisés, Du rapport entre musique et litlérature dans les œuvres symphoniques de Gustav<br />

Mahler et Richard Strauss, Waldkirch, Éditions Gorz, 2005, p.85-87.<br />

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