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IMG - Archipel - UQAM

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celui de l'autre est un produit. Il ne garde, dans le meilleur des cas, qu'en termes de valeur culturelle<br />

de référence et de classe, le souvenir de la « belle ouvrage» de l'artisan qu'il ne peut plus être du fait<br />

de son aliénation. On est fondé à dire que c'est l'intuition de cette évolution qui est l'un des ferments<br />

du déchirement romantique et que c'est aussi la question révolutionnaire qui l'habite. De manière<br />

simplificatrice, on lit trop souvent l'évolution de la pensée en termes de rupture ou d'opposition<br />

radicale. Cela se vérifie pour le romantisme vis-à-vis du cartésianisme mais est-ce en fait vraiment le<br />

cas et n'est-ce pas plutôt à un approfondissement du questionnement auquel on assiste? Mais si ce<br />

mouvement est continu sur la longue période, si les apports déterminent des complémentarités, ils sont<br />

autant de moments et autant d'épreuves car ils sont rarement vécus dans la sérénité, en art peut-être<br />

plus encore qu'ailleurs. L'espace d'un instant, à l'échelle de l'histoire de l'humanité, on a peut-être pu<br />

croire que les différents moyens de traquer le réel et la vérité du monde pourraient se réunir et non se<br />

dissocier dans et du fait de leur construction même. De même, on a pu croire que les émancipations<br />

successives et complémentaires qui fondaient l'individu comme autant de déchirures pourraient<br />

cicatriser. Mais c'est un drame qui s'exprime: purement intérieur ou violemment extérieur, il est<br />

toujours plein de passion. Norbert Élias montre que le «je triomphant» proclamé au monde par<br />

Descartes est un oubli du « nous» qui lui permet d'émerger. En dehors de sa conscience et de sa<br />

« raison », il n'existe pas de réel indubitable. « Une grande part de la théorie philosophique de la<br />

connaissance [...] repose sur l'idée que l'homme qui veut accéder à la connaissance est un être<br />

complètement isolé, éternellement condamné à douter que les objets et par conséquent même les<br />

personnes puissent seulement exister en dehors de lui 190 ». Cet être isolé; n'est-il pas celui qui est si<br />

parcimonieusement représenté dans l'œuvre de celui que la critique présente, depuis sa réhabilitation<br />

au tournant du XX e siècle, comme l'un des plus grands peintres romantiques allemands: Caspar David<br />

Friedrich (1774-1840) ? La composition des œuvres de Friedrich est toujours fortement centrée et les<br />

quelques tableaux qui offrent une ou de rares présences humaines s'ordonnent autour d'elles. Tout<br />

comme des ruines gothiques, une île désolée au milieu d'un lac, un vaisseau fantomatique sur la mer,<br />

ces personnages sont des portes qui semblent donner sur un ailleurs insondable. Ils tournent, toujours<br />

ou presque, le dos au spectateur et paraissent emportés par leurs pensées ainsi que le plus célèbre<br />

d'entre eux: ce« Voyageur contemplant une mer de nuages l91 ». Il n'est même pas besoin de détailler<br />

la métaphore pour percevoir le sens de cette représentation d'un homme songeur sur un pic rocheux et<br />

face à une irrunensité ouatée qui le sépare de sommets émergeant au lointain. Friedrich est présenté par<br />

ses plus grands contemporains comme un, comme « le» peintre du paysage. Après la visite qu'il lui<br />

190 Norbert Elias, La Société des individus, trad. Jeanne Étoré, Paris, Fayard Agora, 1997, p.257-258.<br />

191 Ce tableau, maintenant conservé à la Kunsthalle de Hambourg, est une huile sur toile datant de 18t8.<br />

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