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IMG - Archipel - UQAM

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tour pour désigner cette union intime du beau et du bien qui est la perfection de l'essence de l'homme.<br />

La statue de la déesse grecque, celle dont Jacques Rancière loue « l'oisiveté »63, n'est pas encore<br />

l'expression du talent particulier de son créateur ni la représentation figurative de la déesse. Elle en est<br />

la figure même dans une société où le culte qui est à son fondement n'est pas encore une religion.<br />

Pourtant, cette statue a acquis un statut tout autre depuis qu'elle a sa place dans les départements de<br />

sculpture de nos musées. C'est même un paradoxe qui peut entraîner au contresens anachronique mais<br />

qui ne saurait entamer la dimension sensible de cette rencontre.<br />

L'art fut d'abord, au commencement de l'histoire, le mode d'expression de la vie spirituelle en<br />

totalité, une méthode et un médium en lui-même invisible qui rendait visible le moment<br />

surhumain de l'univers, le moment solennel propre aux jours de fête par opposition à la<br />

quotidienneté. Il devint ensuite, dans un monde essentiellement intellectuel, une activité<br />

particulière produisant des objets d'une espèce particulière qui se distinguent des autres objets<br />

par des traits qui leur sont propres - des objets qui expriment un monde de significations<br />

concrètes, susceptibles d'être non seulement pensées, mais immédiatement vécues, organisées<br />

selon les principes d'un style spirituel, compréhensible mais dépourvu de toute validité<br />

astreignante et, en ce sens, «subjectif». A l'heure actuelle, c'est dans cette perspective que<br />

nous envisageons nécessairement toutes les créations de l'art, y compris celles des époques<br />

passées où l'art possédait un caractère entièrement différent 64<br />

L'approche historique de ces questions, tout comme l'histoire tout court d'ailleurs, ne s'est<br />

construite que progressivement et si le regard que nous portons sur les œuvres du passé, les assimilant<br />

au concept moderne de j'art est anachronique, le risque peut être le même dans une lecture assumant<br />

son caractère rétrospectif. À cet égard, notre relation à la ruine est significative. La patrimonialisation,<br />

si on peut dire qu'elle relève bien d'un culte collectif puisqu'eUe cn a tous les attributs - au moins<br />

dans les sociétés occidentales - se fait au préjudice d'un autre qui était en prise directe avec la vie<br />

dans son terme qui disait l'essence de sa fin toujours reproduite. Le patrimoine manifeste<br />

expressément, et malgré une cel1aine idéalisation de la lignée, une rupture avec elle; sa restauration<br />

suppose le plus souvent, de faire du « neuf ancien» en oubliant justement que cet ancien fut neuf un<br />

jour et ce que sa déréliction exprime des effets du temps qui passe. Les cultes des morts libéraient les<br />

vivants de la trop forte présence des morts. « Mais nous, nous ne pouvons cesser de les aimer qu'en les<br />

oubliant [...] Et cela parce que nous avons perdu le sens de la vie des formes, le sens des contraintes<br />

qu'elles exercent sur notre vie en tant que notre vie est une vie-dans-le-monde, une vie qui se déploie<br />

dans la durée et qui est nouée à elle, et que c'est seulement dans les formes que les morts vivent une<br />

vie propré 5 ». Notre incompréhension de la déesse grecque dit sûrement notre oubli de sa signification<br />

originelle. Il est lié à un surcroît de signification, progressivement construit dans l'évolution même des<br />

63 Jacques Rancière, Malaise dans l'esthétique, Paris, Galilée, 2004.<br />

64 Jan Patocka, L 'arl elle temps, trad. Erika Abrams, Paris, P.O.L., 1990, p.366-367.<br />

65 Michel Freitag, « La condition paradoxale de l'art dans la société post-modeme », loc. ci!., p.128.<br />

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