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IMG - Archipel - UQAM

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du côté effrayant de la nature humaine, la douleur sans nom, les tourments des hommes, le triomphe de<br />

la méchanceté, la dimension ironique du hasard, l'irrémédiable chute de l'innocent: c'est là un signe<br />

remarquable de la constitution du monde et de l'existence. [...] Le vrai sens de la tragédie est cette vue<br />

profonde, que les fautes expiées par le héros ne sont pas ses fautes à lui, mais les fautes héréditaires,<br />

c'est-à-dire le crime même d'exister 354 ». Ce grand art littéraire ne peut donc être la comédie et si l'art<br />

est désintéressé, la contemplation de Schopenhauer a un but semble-t-il : celui de la justification du<br />

drame insurpassable de la vie. Son analyse de la peinture et sa défense de l'intériorité des scènes de vie<br />

quotidienne des maîtres hollandais peut paraître plus sereine mais elle me semble porter les mêmes<br />

enjeux. Son commentaire est révélateur: « Son importance intérieure, c'est la vue profonde qu'elle<br />

nous ouvre sur l'essence même de l'humanité en mettant en pleine lumière certains côtés de cette<br />

nature souvent inaperçus. [...] Quelles que soient l'importance du but poursuivi et les conséquences de<br />

l'acte, le trait de nature peut rester le même: ainsi, par exemple, que des ministres penchés sur une<br />

carte se disputent des territoires et des peuples, ou bien que des paysans dans une auberge se querellent<br />

pour une partie de cartes ou un coup de dés, il n'importe guère 355 ». Ces œuvres, même si elles ont une<br />

puissance propre, paraissent alors se poser en supports pour les exercices spirituels qu'il préconise.<br />

Patocka donne en une phrase un résumé fort et troublant de la position de Schopenhauer pour qui,<br />

voulant « transformer la philosophie des deux mondes en le vitalisme irrationnel de son vouloir-vivre,<br />

139<br />

l'art demeurera pour la porte d'accès au salut, ce qui libère de l'emprise de la volonté aveugle, purifie<br />

et rachète sa culpabilité irrationnelle 356 ». Est-ce le pratiquant de la musique, à tous les sens du terme<br />

qui parle alors? Cet homme dont l'emploi du temps quotidien si réglé prévoyait un moment pour jouer<br />

de la flûte. On sent dans ses mots un apaisement et la sagesse qu'il évoque, associée au plaisir<br />

manifeste, est au-delà de toute raison, même « irrationnelle », et de tout savoir.<br />

L'invention de la mélodie, la découverte de tous les secrets les plus profonds de la volonté et de<br />

la sensibilité humaine, c'est là l'œuvre du génie. L'action du génie y est plus visible que partout<br />

ailleurs, plus irréfléchie, plus libre de toute intention consciente, c'est une véritable inspiration.<br />

L'idée, c'est-à-dire la connaissance préconçue des choses abstraites et positives est ici, comme<br />

partout dans l'art, absolument stérile: le compositeur révèle l'essence la plus intime du monde<br />

et exprime la sagesse la plus profonde, dans une langue que sa raison ne comprend pas; de<br />

même qu'une somnambule donne des réponses lumineuses sur des choses, dont, éveillée, elle<br />

n'a aucune connaissance 357 .<br />

Sa présentation sensible de la musique semble l'expression d'une possession positive et<br />

j'oserais dire rédemptrice. La démonstration du philosophe de la souffrance paraît alors<br />

354 Ibid., p.159.<br />

355 Ibid. p.162.<br />

356 Ibid. p.167.<br />

357 Ibid. p.163.

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