clovis - L'Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée
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sera adressée aux pasteurs <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Burgondie, <strong>et</strong> l’on aime à se persua<strong>de</strong>r<br />
que <strong>de</strong> grands esprits comme saint Avitus ont participé à <strong>la</strong> solution du problème<br />
moral qui préoccupait <strong>la</strong> future reine <strong><strong>de</strong>s</strong> Francs. En considération <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts<br />
suprêmes qu’ils voyaient en jeu, ils auront rassuré c<strong>et</strong>te âme craintive, <strong>et</strong> ils lui<br />
auront rappelé que plus d’une fois, selon <strong>la</strong> parole <strong>de</strong> l’Apôtre <strong><strong>de</strong>s</strong> nations,<br />
l’homme infidèle a été sanctifié par <strong>la</strong> femme fidèle1. Mais en même temps ils<br />
auront voulu que <strong>la</strong> vierge chrétienne ne fût pas exposée à <strong>de</strong>venir <strong>la</strong> mère d’une<br />
famille païenne ; <strong>et</strong> ils auront stipulé, se conformant à l’esprit <strong>de</strong> l’Église<br />
catholique, que les enfants issus du mariage proj<strong>et</strong>é recevraient le baptême2.<br />
L’union <strong>de</strong> Clovis <strong>et</strong> <strong>de</strong> Clotil<strong>de</strong> fut donc conclue en 492 ou 493. L’imagination<br />
popu<strong>la</strong>ire s’est singulièrement intéressée, chez les Francs, à c<strong>et</strong> événement <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
vie privée du héros national. Elle en a fait l’obj<strong>et</strong> d’une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> fictions<br />
poétiques, elle en a remanié le récit à diverses reprises, elle a fini par en faire un<br />
véritable poème nuptial. Ce poème a été pris longtemps pour <strong>de</strong> l’histoire : c’est<br />
l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> vieilles littératures germaniques <strong>et</strong> romanes du moyen âge qui a<br />
permis à <strong>la</strong> science <strong>de</strong> lui restituer sa vraie nature, <strong>et</strong> à l’histoire <strong>de</strong> le rayer <strong>de</strong><br />
ses pages3.<br />
Nous ne reproduirons pas ici les naïves inventions <strong>de</strong> l’épopée popu<strong>la</strong>ire. Non que<br />
nous méconnaissions l’intérêt réel qu’elles présentent pour l’historien : au<br />
contraire, rien n’occupe une p<strong>la</strong>ce plus légitime dans l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> faits que<br />
l’impression qu’ils ont produite dès le premier jour sur les peuples. Mais,<br />
présentée à c<strong>et</strong>te p<strong>la</strong>ce, <strong>la</strong> légen<strong>de</strong>, par l’intérêt même qui s’attache à ses<br />
fictions, attirerait seule les regards du lecteur <strong>et</strong> ne lui perm<strong>et</strong>trait pas <strong>de</strong> voir <strong>la</strong><br />
réalité. Et il se trouve que c<strong>et</strong>te fois <strong>la</strong> réalité est bien plus belle que <strong>la</strong> fiction.<br />
L’épopée, en eff<strong>et</strong>, ne grandit pas toujours les héros chrétiens ; elle rabaisse les<br />
personnages que leurs vertus p<strong>la</strong>cent au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule, en leur attribuant<br />
les actions <strong>et</strong> les mobiles du vulgaire4. Nul n’a plus pâti <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tendance que <strong>la</strong><br />
figure <strong>de</strong> sainte Clotil<strong>de</strong>. En présentant ici son histoire dégagée <strong>de</strong> tous ses<br />
ornements poétiques, nous substituons à l’héroïne romanesque <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition <strong>la</strong><br />
suave figure historique d’une sainte trop longtemps méconnue.<br />
Une ambassa<strong>de</strong> solennelle al<strong>la</strong>, selon l’usage, chercher <strong>la</strong> jeune fiancée <strong>et</strong> <strong>la</strong><br />
ramena à son époux, qui était venu à sa rencontre à Villery, près <strong>de</strong> Troyes, aux<br />
confins <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux royaumes5. Il <strong>la</strong> conduisit lui-même à Soissons, où, selon toute<br />
apparence, eurent lieu les fêtes du mariage6. L’union fut heureuse. Dès les<br />
premiers jours le jeune roi barbare s’attacha d’un cœur sincère à l’épouse <strong>de</strong> son<br />
choix ; il lui <strong>la</strong>issa prendre sur sa vie un grand <strong>et</strong> salutaire ascendant, <strong>et</strong> Clotil<strong>de</strong><br />
1 S. Paul, I Ad Corinth., VII, 14.<br />
2 La conjecture est <strong>de</strong> Dubos, III, p. 78.<br />
3 Je renvoie, pour <strong>la</strong> démonstration <strong>de</strong> ce point, au chapitre intitulé : le Mariage <strong>de</strong><br />
Clovis, dans l’Histoire poétique <strong><strong>de</strong>s</strong> Mérovingiens, pp. 225 à 251.<br />
4 Léon Gautier, les Épopées françaises, 2e édit., t. III, pp. 785 <strong>et</strong> suiv.<br />
5 Vi<strong>la</strong>riaco in qua Chlodoveus resi<strong>de</strong>bat in territorio Trecassino. Frédégaire, III, 19. C’est<br />
Villery, (Aube), au sud <strong>de</strong> Troyes. V. Longnon, Géographie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gaule au VIe siècle, pp.<br />
15, note 1 <strong>et</strong> 333. C<strong>et</strong>te indication, il est vrai, nous est fournie par <strong>la</strong> légen<strong>de</strong>, qui a<br />
enchâssé c<strong>et</strong>te fois un détail réel. Le vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> Villery a été l’obj<strong>et</strong> d’une intéressante<br />
délibération au congrès archéologique <strong>de</strong> Troyes en 1853 ; v. le compte rendu (Paris,<br />
1854), pp. 178-179.<br />
6 Le Chronicon sancti Benigni Divionensis (Dachéry, Spicilegium, t. II) dit à tort Chalonsur-Saône.<br />
Sur les solennités d’un mariage royal chez les Francs, comparer celui <strong>de</strong><br />
Sigebert d’Austrasie avec Brunehaut.