clovis - L'Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée
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malheureux, vaincu par les souffrances, ne dénonçât une multitu<strong>de</strong> d’innocents.<br />
Mais Proculus supporta les plus cruels tourments sans accuser personne, <strong>et</strong>,<br />
pendant que le bourreau lui brisait les membres, il ne cessa <strong>de</strong> protester <strong>de</strong><br />
l’innocence <strong>de</strong> Silvanus, qu’il établit par <strong><strong>de</strong>s</strong> arguments sans réplique. Un<br />
dévouement aussi sincère, mais moins pur, fut celui <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te esc<strong>la</strong>ve <strong>de</strong> Silvanus<br />
qui était échue, après <strong>la</strong> confiscation <strong>de</strong> ses biens, à l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs <strong>de</strong> sa mort,<br />
nommé Barbation. Elle le dénonça avec sa femme pour crime <strong>de</strong> lèse-majesté,<br />
<strong>et</strong>, les ayant fait condamner à mort, elle eut <strong>la</strong> satisfaction d’offrir ces têtes<br />
odieuses aux mânes du maître qu’elle pleurait.<br />
Il était juste <strong>de</strong> nous arrêter un instant <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> figure <strong>de</strong> Silvanus ; il montre<br />
ce qu’on pouvait faire, au quatrième siècle, d’un barbare converti, <strong>et</strong> quelle<br />
somme <strong>de</strong> ressources morales les peuples germaniques m<strong>et</strong>taient à <strong>la</strong> disposition<br />
<strong>de</strong> l’Empire, qui s’acharnait à les gaspiller <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière <strong>la</strong> plus criminelle. Que<br />
fal<strong>la</strong>it-il attendre <strong>de</strong> souverains qui, n’ayant pis <strong>de</strong> meilleurs défenseurs que leurs<br />
volontaires barbares, plongeaient eux-mêmes le poignard dans ces vail<strong>la</strong>ntes <strong>et</strong><br />
loyales poitrines, <strong>et</strong> qui, aussitôt après, tremb<strong>la</strong>ient <strong>de</strong> peur «en s’apercevant <strong>de</strong><br />
ce qu’ils avaient fait ? Il n’y a rien <strong>de</strong> plus misérable, <strong>et</strong> c’est un spectacle que<br />
Rome ne se <strong>la</strong>ssera plus <strong>de</strong> donner jusqu’à <strong>la</strong> fin.<br />
Les Francs d’outre-Rhin se chargèrent <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> sang<strong>la</strong>ntes funérailles au<br />
compatriote qui leur avait été un voisin si redoutable1. A peine avait-il disparu,<br />
qu’ils se précipitèrent sur <strong>la</strong> Gaule désormais sans défense. Cologne, le boulevard<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> Germanie, soutint quelque temps leur assaut à l’abri <strong>de</strong> ses soli<strong><strong>de</strong>s</strong><br />
murailles ; mais, sans doute parce qu’ils y trouvèrent <strong><strong>de</strong>s</strong> intelligences parmi les<br />
fidèles <strong>de</strong> Silvanus qui vou<strong>la</strong>ient le venger, elle finit par tomber dans leurs mains,<br />
<strong>et</strong> ils y mirent tout à feu <strong>et</strong> à sang. La porte <strong><strong>de</strong>s</strong> Gaules leur était toute <strong>la</strong>rge<br />
ouverte maintenant, <strong>et</strong> le pont <strong>de</strong> Constantin, qui jusqu’alors avait été un<br />
ouvrage avancé <strong>de</strong> <strong>la</strong> défense, <strong>de</strong>vint pour eux <strong>la</strong> triomphale chaussée par<br />
<strong>la</strong>quelle ils passèrent en masses compactes sur <strong>la</strong> rive gauche. Pendant le même<br />
temps, le haut Rhin était forcé par les A<strong>la</strong>mans, <strong>et</strong>, <strong>de</strong>puis ses sources jusqu’à<br />
son embouchure, le beau fleuve ne vit plus sur ses <strong>de</strong>ux rives que <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
déprédateurs barbares, qui détruisirent quarante-cinq villes sans compter une<br />
innombrable quantité <strong>de</strong> châteaux forts <strong>et</strong> <strong>de</strong> fortins. Rien ne leur résistait, ni<br />
enceinte ni armée ; au seul bruit <strong>de</strong> leur arrivée, les villes étaient abandonnées<br />
par les popu<strong>la</strong>tions affolées2. Mis en appétit par l’o<strong>de</strong>ur du carnage, les Lètes<br />
cantonnés dans l’intérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gaule sentirent se réveiller leur instincts<br />
barbares ; ils voulurent avoir leur part <strong>de</strong> <strong>la</strong> curée, <strong>et</strong> comme <strong>de</strong> nouveaux<br />
Bagau<strong><strong>de</strong>s</strong>, ils promenèrent le fer <strong>et</strong> le feu jusqu’au fond <strong><strong>de</strong>s</strong> provinces les plus<br />
éloignées <strong>de</strong> <strong>la</strong> frontière3.<br />
Que pouvait faire dans <strong>de</strong> telles conjonctures <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Mi<strong>la</strong>n, sinon <strong>de</strong> nouveau<br />
recourir à un <strong>de</strong> ces <strong>hommes</strong> qu’on tenait à l’écart tant qu’on n’avait pas besoin<br />
d’eux, <strong>et</strong> à qui l’on confiait les <strong><strong>de</strong>s</strong>tins <strong>de</strong> l’État aussitôt qu’il était menacé ? Il<br />
fallut bien que l’empereur se résignât, malgré ses répugnances, à s’adresser à<br />
son jeune parent Julien, <strong>de</strong>rnier survivant <strong><strong>de</strong>s</strong> neveux <strong>de</strong> Constantin le Grand<br />
massacrés au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> sa mort.<br />
Julien était alors un jeune homme à l’esprit sérieux <strong>et</strong> réfléchi, avec assez <strong>de</strong><br />
talent <strong>et</strong> <strong>de</strong> caractère pour faire honneur à son origine dans tous les postes où il<br />
1 Ammien Marcellin, XV, 8.<br />
2 Julien, L<strong>et</strong>tre aux Athéniens ; Zosime, III, 1.<br />
3 Ammien Marcellin, XVI, 11.