clovis - L'Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée
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il n’est pas interdit <strong>de</strong> croire que les choses ne se passèrent pas avec <strong>la</strong> simplicité<br />
qu’y voit Grégoire. Le chroniqueur ne connaissait <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> Clovis que les<br />
gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes, <strong>et</strong> n’avait plus qu’une idée fort lointaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont les<br />
popu<strong>la</strong>tions germaniques résolvaient d’ordinaire le problème <strong>de</strong> leur conversion.<br />
Nous serions assez portés à nous figurer <strong>la</strong> scène qu’il résume comme un<br />
pendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> célèbre délibération qui <strong>de</strong>vait avoir pour résultat, un siècle plus<br />
tard, <strong>la</strong> conversion <strong>de</strong> <strong>la</strong> Northumbrie au christianisme1. A coup sûr, si un<br />
contemporain, si un témoin ocu<strong>la</strong>ire nous en avait conservé le souvenir, elle se<br />
présenterait à nous avec un caractère moins légendaire <strong>et</strong> avec un intérêt<br />
historique plus vif encore2.<br />
Pour le reste <strong>de</strong> l’armée franque, elle n’eut pas à se prononcer, <strong>et</strong> <strong>la</strong> conversion<br />
du roi n’avait pour elle qu’un intérêt général. C<strong>et</strong>te armée, qui <strong>de</strong>puis <strong>la</strong><br />
conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gaule romaine comprenait au moins autant <strong>de</strong> chrétiens que <strong>de</strong><br />
païens, puisqu’elle se recrutait parmi les indigènes aussi bien que parmi les<br />
barbares, avait été licenciée dès <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne. Les soldats étaient<br />
rentrés dans leurs foyers : ceux-ci avaient regagné les villes gauloises qui étaient<br />
leur patrie, ceux-là étaient allés r<strong>et</strong>rouver leurs familles sur les bords <strong>de</strong> l’Escaut<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Meuse, dans les vastes p<strong>la</strong>ines <strong><strong>de</strong>s</strong> Pays-Bas. Les soldats chrétiens,<br />
apparemment, se réjouirent comme autrefois les contemporains <strong>de</strong> Constantin le<br />
Grand ; quant aux barbares païens, ils restaient étrangers aux préoccupations <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> conscience individuelle <strong>de</strong> leur roi, <strong>et</strong> ne se <strong>la</strong>issèrent pas gagner par son<br />
exemple. Ils continuèrent d’ignorer Jésus-Christ <strong>et</strong> <strong>de</strong> sacrifier à leurs dieux<br />
jusqu’au jour où <strong><strong>de</strong>s</strong> missionnaires zélés, pénétrant chez eux au péril <strong>de</strong> leur vie,<br />
leur apportèrent <strong>la</strong> bonne nouvelle du salut. Il fallut plus d’une génération pour<br />
les convertir. Ceux <strong>de</strong> Cologne étaient encore en gran<strong>de</strong> partie païens un <strong>de</strong>misiècle<br />
plus tard, <strong>et</strong> ils faillirent faire un mauvais parti à saint Gallus <strong>de</strong> Clermont,<br />
malgré <strong>la</strong> faveur dont il jouissait auprès du roi Thierry Ier, parce qu’il avait osé<br />
détruire un <strong>de</strong> leurs sanctuaires3. Quant aux Saliens, plusieurs continuèrent <strong>de</strong><br />
pratiquer le culte païen à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> leurs propres rois4. Au septième siècle, ils<br />
j<strong>et</strong>èrent leurs premiers apôtres dans l’Escaut5, <strong>et</strong> ils restèrent longtemps rétifs à<br />
l’Évangile. La Toxandrie, leur patrie primitive, comptait encore <strong><strong>de</strong>s</strong> païens à <strong>la</strong> fin<br />
du huitième siècle, <strong>et</strong> les rivages <strong>de</strong> <strong>la</strong> F<strong>la</strong>ndre ne furent entièrement<br />
débarrassés du paganisme que pendant le onzième. C<strong>et</strong>te lenteur du peuple<br />
franc à suivre son roi dans les chemins où il venait d’entrer s’explique par <strong>la</strong><br />
torpeur morale <strong>de</strong> toute barbarie : elle n’était pas le fait d’une opposition <strong>de</strong><br />
1 Beda le Vénérable, Hist. ecclés. Angl., II, 43.<br />
2 M. d’Arbois <strong>de</strong> Jubainville se figure les choses autrement. Selon lui. Clovis était le grand<br />
prêtre <strong><strong>de</strong>s</strong> Francs, <strong>et</strong> les prêtres inférieurs étaient les chefs <strong>de</strong> famille ; ceux-ci,<br />
subordonnés à Clovis au point <strong>de</strong> vue religieux comme à celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
guerre, suivirent en religion l’ordre du maître ; ils obéirent avec <strong>la</strong> même ponctualité que<br />
s’il avait été question d’un jugement prononcé par le roi, en matière soit criminelle, soit<br />
civile, ou que si à <strong>la</strong> guerre ils avaient entendu son comman<strong>de</strong>ment. Avant <strong>de</strong> se faire<br />
baptiser, Clovis avait eu, en vrai politique, <strong>la</strong> politesse <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r avis. Mais il y a<br />
une façon royale <strong>de</strong> poser les questions qui n’est qu’une manière habile <strong>de</strong> donner un<br />
ordre. (Étu<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong><strong>de</strong>s</strong> Francs à l’époque Mérovingienne, Paris, 1900, p. 15.) En<br />
réalité, comme on le verra plus loin, les rois mérovingiens se gardaient <strong>de</strong> violenter leurs<br />
guerriers dans leur conscience religieuse, <strong>et</strong> Clovis n’avait pas le pouvoir <strong>de</strong> leur imposer<br />
sa propre foi.<br />
3 Grégoire <strong>de</strong> Tours, Vitæ Patrum, VI, 2.<br />
4 Vita sancti Vedasti, c. 7, S. R. M, III, 410.<br />
5 Vita sancti Amandi, par Bau<strong>de</strong>mund.