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clovis - L'Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée

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qu’il fuyait <strong>de</strong>vant son fils Chlodéric ? Si c’est celui-ci qui est le meurtrier, qui a<br />

dit à <strong>la</strong> tradition popu<strong>la</strong>ire qu’il ait agi à l’instigation <strong>de</strong> Clovis ? Et si Clovis a<br />

voulu plus tard se débarrasser <strong>de</strong> Chlodéric par un meurtre, est-il sérieux <strong>de</strong><br />

prétendre qu’il l’aurait fait assassiner dans son propre pa<strong>la</strong>is, <strong>et</strong> par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ambassa<strong>de</strong>urs ? Enfin, à supposer qu’il ait réellement commis une pareille<br />

trahison, comment croire que le peuple ripuaire se serait <strong>la</strong>issé persua<strong>de</strong>r qu’il en<br />

était innocent ? En contredisant d’une manière si éc<strong>la</strong>tante l’opinion qu’elle<br />

attribue aux Ripuaires, <strong>la</strong> tradition ne se démasque-t-elle pas comme une<br />

légen<strong>de</strong> postérieure <strong>et</strong> sans autorité ? Toutes ces invraisemb<strong>la</strong>nces sans doute<br />

ne choquaient pas l’esprit popu<strong>la</strong>ire à l’époque où écrivait Grégoire <strong>de</strong> Tours,<br />

mais elles dénoncent le récit à <strong>la</strong> critique mo<strong>de</strong>rne, <strong>et</strong> nous forcent à reconnaître<br />

ici le travail inconscient <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie, non les souvenirs exacts <strong>de</strong> l’histoire.<br />

Qu’il nous soit permis d’inviter le lecteur à nous suivre pour quelques instants<br />

dans l’atelier <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique, où une analyse méthodique du récit qu’il vient<br />

d’entendre nous perm<strong>et</strong>tra peut-être <strong>de</strong> le ramener à ses éléments constitutifs <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> nous rendre compte <strong>de</strong> sa formation. En éliminant tous les détails<br />

légendaires, nous rencontrons au centre <strong>de</strong> celui-ci un noyau vraiment historique<br />

: <strong>la</strong> mort tragique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux rois <strong>de</strong> Cologne. Sigebert <strong>et</strong> Chlodéric vivaient<br />

encore en 507 ; en 511, tous <strong>de</strong>ux étaient disparus, <strong>et</strong> Clovis régnait à leur<br />

p<strong>la</strong>ce. Ce double drame a vivement préoccupé l’imagination popu<strong>la</strong>ire ; elle a<br />

voulu en savoir <strong>la</strong> cause, <strong>et</strong> elle n’a pas manqué d’en trouver une qui <strong>la</strong> satisfît.<br />

«.Cherche à qui le crime profite, » telle est <strong>la</strong> règle qui gui<strong>de</strong> l’esprit <strong><strong>de</strong>s</strong> foules<br />

dans <strong>la</strong> recherche du coupable. Or le seul qui eût intérêt à faire périr Sigebert,<br />

c’est celui qui <strong>de</strong>vait être son héritier, <strong>et</strong> Chlodéric s’est vu ainsi transformé en<br />

parrici<strong>de</strong> <strong>de</strong> par <strong>la</strong> rigoureuse logique <strong>de</strong> l’épopée. Peut-être celle-ci aurait hésité<br />

à charger sa mémoire d’un crime aussi monstrueux, si <strong>la</strong> fin précoce <strong>et</strong> tragique<br />

<strong>de</strong> ce prince n’avait été une preuve <strong>de</strong> sa culpabilité. Car il est un autre axiome<br />

non moins cher à <strong>la</strong> logique popu<strong>la</strong>ire, <strong>et</strong> que l’épopée consacre tous les jours<br />

dans ses tableaux, c’est que tout crime s’expie dès ici-bas par <strong>la</strong> loi du talion. Ils<br />

sont innombrables, les personnages historiques dont <strong>la</strong> tradition a noirci <strong>la</strong><br />

mémoire, simplement parce qu’ils ont été malheureux, <strong>et</strong> qu’on n’a pu expliquer<br />

leur malheur autrement que par leurs fautes. Si Chlodéric a péri <strong>de</strong> bonne heure<br />

<strong>et</strong> d’une mort cruelle, c’est qu’il avait mérité ce châtiment, c’est qu’il était<br />

l’auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> catastrophe mystérieuse qui avait emporté son père. Mais <strong>la</strong> mort<br />

<strong>de</strong> Chlodéric lui-même, à qui profitait-elle, sinon à Clovis, qui <strong>de</strong>vint grâce à elle<br />

le roi <strong><strong>de</strong>s</strong> Ripuaires ? Encore une fois donc, dans c<strong>et</strong>te imagination popu<strong>la</strong>ire qui<br />

ne peut pas se résigner à <strong>la</strong>isser quelque part aux éléments fortuits, c’est Clovis<br />

qui a fait périr Chlodéric, <strong>et</strong> qui est <strong>de</strong>venu ainsi l’exécuteur <strong><strong>de</strong>s</strong> justes<br />

vengeances d’un Dieu irrité1.<br />

Tel est le procédé poétique par lequel, remontant <strong><strong>de</strong>s</strong> eff<strong>et</strong>s aux causes <strong>et</strong><br />

raisonnant d’après les lois d’une logique simple <strong>et</strong> rigoureuse, l’imagination<br />

popu<strong>la</strong>ire est arrivée à s’expliquer toute c<strong>et</strong>te série d’événements. Une ambition<br />

criminelle a poussé un prince royal au parrici<strong>de</strong> ; mais <strong>la</strong> justice divine fait<br />

marcher <strong>la</strong> vengeance sur les traces du crime, <strong>et</strong> succomber le coupable sous les<br />

coups <strong>de</strong> son heureux successeur.<br />

Ainsi, l’évolution est complète. Le fait inexpliqué, tombé dans l’imagination<br />

épique comme une graine dans le sol, y a germé, grandi, <strong>et</strong> s’est peu à peu<br />

1 Je crois <strong>de</strong>voir rappeler au lecteur que je me borne à résumer ici les considérations<br />

développées dans l’Histoire poétique <strong><strong>de</strong>s</strong> Mérovingiens, pp. 293-302.

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