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clovis - L'Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée

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p<strong>la</strong>irait à <strong>la</strong> fortune <strong>de</strong> l’employer. Il avait gardé jusque là l’attitu<strong>de</strong> effacée qui<br />

convenait à ses malheurs <strong>et</strong> à sa dignité : il vivait dans <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong>, n’ayant<br />

d’autre société que celle <strong>de</strong> ses livres, trop timi<strong>de</strong> <strong>et</strong> trop gauche d’ailleurs pour<br />

se faire valoir, même s’il l’avait voulu, dans un mon<strong>de</strong> prosterné <strong>de</strong>vant tous les<br />

caprices <strong>de</strong> l’étiqu<strong>et</strong>te. On ne se doutait guère, à <strong>la</strong> cour, <strong>de</strong> ce qui se cachait<br />

sous ces <strong>de</strong>hors réservés. On le savait passionné pour <strong>la</strong> littérature, <strong>et</strong> plein <strong>de</strong><br />

vénération pour les rhéteurs qui avaient été ses maîtres, <strong>et</strong> parmi lesquelles<br />

bril<strong>la</strong>it le sophiste Libanius. Ce qu’on ignorait, c’est que c<strong>et</strong>te imagination<br />

ar<strong>de</strong>nte, refoulée sur elle-même <strong>et</strong> condamnée à ne trouver <strong>de</strong> satisfaction que<br />

dans <strong>la</strong> vie purement intellectuelle, avait été conquise entièrement par les<br />

gran<strong>de</strong>urs du mon<strong>de</strong> <strong>antique</strong>, entrevu à travers <strong>la</strong> splen<strong>de</strong>ur sans pareille dont<br />

l’entouraient ses poètes <strong>et</strong> ses philosophes. Les Muses l’avaient ramené <strong>de</strong>vant<br />

les autels <strong><strong>de</strong>s</strong> dieux oubliés ; il s’y était épris du charme d’une mythologie que<br />

d’ailleurs les l<strong>et</strong>trés <strong>de</strong> son temps rajeunissaient au moyen d’ingénieux<br />

symbolismes. Son besoin d’idéal trouva une satisfaction dans ces poétiques<br />

rêveries ; <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur morale du christianisme, compromis à ses yeux par les<br />

royaux meurtriers <strong>de</strong> sa famille <strong>et</strong> par les sophismes <strong>de</strong> l’hérésie, ne fit pas<br />

d’impression sur c<strong>et</strong>te âme d’écolier trop bien doué. Toutefois, dissimulé comme<br />

le sont d’ordinaire les opprimés, il cacha soigneusement au fond <strong>de</strong> son cœur les<br />

sentiments qui le remplissaient, <strong>et</strong> seuls les confi<strong>de</strong>nts les plus intimes <strong>de</strong> sa<br />

pensée purent entrevoir ce qui était réservé au mon<strong>de</strong>, le jour où il serait donné<br />

à Julien d’en occuper le trône1.<br />

Tel était l’homme sur lequel Constance venait <strong>de</strong> j<strong>et</strong>er les yeux pour délivrer <strong>la</strong><br />

Gaule <strong><strong>de</strong>s</strong> barbares. On le tira <strong>de</strong> sa solitu<strong>de</strong>, on lui fit déposer le manteau <strong>de</strong><br />

philosophe pour <strong>la</strong> pourpre impériale, on lui donna <strong>la</strong> main d’Hélène, sœur <strong>de</strong><br />

l’empereur, puis, sans lui révéler <strong>la</strong> terrible nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> chute <strong>de</strong> Cologne, on<br />

le dirigea vers <strong>la</strong> Gaule avec <strong>la</strong> mission <strong>de</strong> faire rentrer c<strong>et</strong>te province sous<br />

l’autorité impériale. Il partit sans joie, l’âme pleine <strong>de</strong> sombres pressentiments,<br />

se considérant comme une victime vouée à une mort certaine. Lorsque, revenant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cérémonie <strong>de</strong> son inauguration, il était <strong><strong>de</strong>s</strong>cendu du char impérial pour<br />

entrer dans le pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Constance, on l’avait entendu murmurer un vers<br />

d’Homère qui par<strong>la</strong>it du <strong><strong>de</strong>s</strong>tin fatal d’un héros : <strong>et</strong> c’est par c<strong>et</strong>te lugubre<br />

prophétie, enveloppée dans un souvenir c<strong>la</strong>ssique, que le nouveau César débuta<br />

dans sa carrière.<br />

Il fut d’ailleurs à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> sa mission. De Vienne, où il avait passé l’hiver, il<br />

courut au printemps <strong>de</strong> 356 délivrer Autun ; puis, par <strong><strong>de</strong>s</strong> chemins tout infestés<br />

<strong>de</strong> barbares, il gagna Auxerre <strong>et</strong> Troyes, où l’on osa à peine lui ouvrir lorsqu’il se<br />

présenta à l’improviste <strong>de</strong>vant les portes, tant on y avait peur <strong>de</strong> l’ennemi qui<br />

tenait toute <strong>la</strong> campagne. De là il partit pour Reims, où il avait donné ren<strong>de</strong>zvous<br />

à ses troupes, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Reims, s’avançant avec les plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> précautions,<br />

<strong>et</strong> en rangs serrés, à travers un épais brouil<strong>la</strong>rd qui masquait <strong>la</strong> présence <strong>de</strong><br />

l’ennemi, il prit là route <strong>de</strong> l’Alsace. Il enleva aux barbares <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Brumagen,<br />

<strong>et</strong>, après en avoir n<strong>et</strong>toyé <strong>la</strong> contrée tant bien que mal, il courut en toute hâte à<br />

Cologne. Cologne, en eff<strong>et</strong>, était le but avéré <strong>de</strong> l’expédition : il n’y avait rien <strong>de</strong><br />

plus urgent que <strong>de</strong> reprendre c<strong>et</strong>te position, d’une importance sans égale, qui<br />

1 Il faut lire sur Julien l’Apostat les pages pénétrantes où M. Paul Al<strong>la</strong>rd analyse avec un<br />

remarquable talent <strong>de</strong> psychologue les divers éléments qui se sont réunis pour faire<br />

l’éducation littéraire <strong>et</strong> théurgique <strong>de</strong> ce personnage, <strong>et</strong> pour le faire r<strong>et</strong>omber dans les<br />

bras du paganisme. V. Julien l’Apostat, tome I, Paris 1900, livre qui paraissait au<br />

moment où je corrigeais les épreuves <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te secon<strong>de</strong> édition.

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