clovis - L'Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée
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le tombeau <strong>de</strong> saint Martin, pendant toute <strong>la</strong> nuit qui précéda <strong>la</strong> bataille, elle<br />
pleura <strong>et</strong> pria, suppliant le Ciel, par l’intercession du grand confesseur, <strong>de</strong> ne pas<br />
perm<strong>et</strong>tre c<strong>et</strong>te lutte fratrici<strong>de</strong> entre ses enfants. Et le Ciel exauça ses prières,<br />
car un ouragan épouvantable, qui j<strong>et</strong>a le désordre dans l’armée <strong><strong>de</strong>s</strong> alliés<br />
pendant que pas une goutte <strong>de</strong> pluie ne tombait sur celle <strong>de</strong> Clotaire, parut le<br />
signe surnaturel <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté d’en haut ; il désarma sur-le-champ <strong><strong>de</strong>s</strong> barbares<br />
qui ne cédaient qu’à un Dieu irrité. La paix fut faite, <strong>et</strong> Clotaire fut sauvé. Nul ne<br />
peut douter, écrit l’historien, que ce ne fût un miracle <strong>de</strong> saint Martin, accordé<br />
aux prières <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine Clotil<strong>de</strong>1.<br />
C<strong>et</strong>te grâce, obtenue au prix <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes, fut une <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières<br />
conso<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère cruellement éprouvée. Plusieurs années s’écoulèrent<br />
encore pour elle, vi<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> joies humaines <strong>et</strong> remplies seulement, comme toute<br />
sa vie, par l’humble <strong>et</strong> assidue pratique <strong>de</strong> toutes les vertus.<br />
Soumise à <strong>la</strong> haute volonté qui avait appesanti avec les années le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> ses<br />
tribu<strong>la</strong>tions, elle l’avait porté sans murmure <strong>et</strong> en bénissant Dieu, <strong>et</strong> maintenant,<br />
détachée <strong>de</strong> tout lien terrestre, elle se trouvait <strong>de</strong>venue mûre pour le ciel. Elle<br />
s’éteignit enfin à Tours, le 3 juin 5452, à l’âge <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> soixante-dix ans, pleine<br />
<strong>de</strong> jours <strong>et</strong> <strong>de</strong> bonnes œuvres. Un cortège imposant transporta sa dépouille<br />
mortelle à Paris, où ses fils <strong>la</strong> déposèrent auprès <strong>de</strong> Clovis <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses enfants.<br />
Les fidèles ne cessèrent <strong>de</strong> vénérer <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> Clotil<strong>de</strong>, <strong>et</strong> <strong>de</strong> porter leurs<br />
pieux hommages à son tombeau. Et quels hommages furent plus mérités ? Ils<br />
n’al<strong>la</strong>ient pas seulement aux vertus héroïques dont <strong>la</strong> défunte avait donné le<br />
spectacle durant sa vie ; ils s’adressaient aussi à l’épouse qui avait été<br />
l’instrument provi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversion <strong>de</strong> Clovis. Si <strong>la</strong> France a quelque droit<br />
<strong>de</strong> se féliciter d’être une nation catholique, elle le doit avant tout à sa première<br />
reine chrétienne. Il est vrai, les poètes popu<strong>la</strong>ires, qui entonnaient sur les p<strong>la</strong>ces<br />
publiques <strong><strong>de</strong>s</strong> chants faits pour <strong><strong>de</strong>s</strong> auditeurs grossiers, n’ont pas su comprendre<br />
c<strong>et</strong>te suave physionomie rencontrée par eux dans l’histoire <strong>de</strong> leurs rois. Ils ont<br />
transformé l’épouse chrétienne en virago barbare ; ils ont mis dans son cœur<br />
tous les sentiments <strong>de</strong> leur propre barbarie ; à <strong>la</strong> noble veuve agenouillée sur<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> tombeaux, à <strong>la</strong> douce orante qui, semb<strong>la</strong>ble aux chastes figures <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
catacombes, prie les bras ouverts pour <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants cruels, ils ont substitué <strong>la</strong><br />
furie germanique altérée <strong>de</strong> sang, <strong>la</strong> valkyrie souff<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> haine <strong>et</strong> <strong>la</strong> vengeance,<br />
<strong>et</strong> armant ses parents les uns contre les autres pour <strong><strong>de</strong>s</strong> guerres<br />
d’extermination. Leurs récits sont parvenus à se glisser dans les écrits <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
premiers historiographes, <strong>et</strong> à j<strong>et</strong>er comme une ombre sur l’auréole radieuse <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> sainte. Mais l’histoire est enfin rentrée en possession <strong>de</strong> ses droits, <strong>et</strong> elle ne<br />
perm<strong>et</strong>tra plus désormais à <strong>la</strong> légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> calomnier ses noms les plus beaux.<br />
Avant que <strong>la</strong> femme <strong>et</strong> les enfants <strong>de</strong> Clovis fussent allés le rejoindre dans le<br />
repos du tombeau, <strong>la</strong> crypte royale avait donné l’hospitalité à une gloire qui<br />
<strong>de</strong>vait faire pâlir <strong>la</strong> leur aux yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> postérité. Quand Geneviève mourut après<br />
avoir été pendant plus d’un <strong>de</strong>mi-siècle le bon génie <strong>de</strong> Paris, <strong>la</strong> reconnaissance<br />
publique ne trouva pas d’abri plus digne <strong>de</strong> ses cendres que le souterrain où<br />
dormait son roi. La vierge <strong>de</strong> Nanterre y fut donc déposée dans un sarcophage ;<br />
mais dès que c<strong>et</strong>te royauté pacifique eut pénétré dans le caveau, son nom <strong>et</strong> son<br />
souvenir y éclipsèrent tous les autres. L’église Saint-Pierre du mont Lutèce ne fut<br />
plus pour les Parisiens que l’église Sainte-Geneviève. Ce nom, le plus popu<strong>la</strong>ire<br />
1 Grégoire <strong>de</strong> Tours, III, 28.<br />
2 Id., IV, 1. Le jour est donné par le Vita sancta Chrothildis, c. 14.