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Les mondes darwiniens

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[jérôm e r avat / m o r a l e darwi n i e n n e et d a r w i n i s m e m o r a l]<br />

est vraie, « la plupart des individus parmi les plus sérieux seront contraints<br />

d’abandonner ces principes par lesquels ils ont tenté de mener de nobles et<br />

vertueuses existences, puisqu’ils sont fondés sur une erreur […]. Si ces thèses<br />

sont exactes, une révolution de la pensée est imminente, qui ébranlera la<br />

société jusque dans ses racines, détruisant le caractère sacré de la conscience,<br />

et le sentiment religieux 4 ». En quoi LFH constitue-t-elle un ouvrage aussi subversif<br />

pour la moralité traditionnelle ? Tel est le point que nous allons nous<br />

efforcer de comprendre en analysant tout d’abord une des conséquences fondamentales<br />

de la théorie darwinienne de l’évolution : le rejet du finalisme.<br />

Selon les partisans du finalisme, la nature et l’humanité sont orientés par<br />

un but, un dessein, et non par le seul hasard. Sous sa forme théologique, le<br />

finalisme présuppose donc que Dieu est la cause finale de l’univers. C’est<br />

précisément contre la thèse d’un dessein divin que Darwin prend position en<br />

mettant en avant le concept de « sélection naturelle ». Pour Darwin, en effet,<br />

la sélection naturelle est un processus aveugle, qui ne s’accomplit aucunement<br />

de manière délibérée 5 . L’expression même de « sélection naturelle », en ce<br />

sens, doit être envisagée avec précaution. Darwin lui-même était parfaitement<br />

conscient de l’ambiguïté sémantique que pouvait revêtir cette expression, au<br />

point de chercher par la suite à remplacer celle-ci par le terme de « préservation<br />

», qu’il finira par abandonner. En ce sens, Darwin prend parti contre<br />

toute tentative de théologie rationnelle 6 , comme celle de William Paley. Dans<br />

l’ouvrage de 1802 intitulé Natural Theology. Evidences of the Existence and<br />

Attributes of the Deity collected from the Appareances of Nature @, Paley<br />

affirmait ainsi que la perfection des lois naturelles ne pouvait être expliquée<br />

que par l’existence d’un être divin, omniscient et omnipotent.<br />

Pour Darwin, si l’émergence des organismes humains n’est pas le fruit de la<br />

sagesse divine, mais le résultat de processus de variation et de sélection, alors il<br />

4. Cité d’après Wright (1996), L’animal moral [1994], Folio Gallimard, p. 531.<br />

5. Cette thèse finaliste, dans ce domaine, a connu de nombreux avatars, dont le plus<br />

récent est l’Intelligent Design. C’est en cela que l’ID est à la fois un finalisme et un<br />

évolutionnisme : il ne rejette pas le fait que les espèces évoluent, il récuse l’idée<br />

d’une évolution non orientée et uniquement « mue » par le hasard (dynamique<br />

variationnelle) et la sélection naturelle. Un designer, un Grand Architecte, un Dieu<br />

(les IDers n’osent pas le mot, tactiquement, alors osons-le pour eux…). Sur la variation,<br />

cf. Heams, ce volume ; sur la sélection, cf. Huneman, idem. (Ndd.)<br />

6. La théologie rationnelle (appelée également théologie « naturelle ») est la partie<br />

de métaphysique qui a pour objet d’étude des questions telles que l’existence de<br />

Dieu, l’immortalité de l’âme ou la destinée humaine.

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