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Les mondes darwiniens

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[f r a nço i s e longy / fonctions b iolog iqu es et conte n us sémantiqu es : la téléosémantiqu e]<br />

que tout phénomène naturel devait s’expliquer par un enchaînement de causes<br />

et d’effets où les causes précédaient les effets. Par ailleurs, un autre élément,<br />

lié à la téléologie, semblait devoir marquer ultérieurement la séparation entre<br />

les deux domaines : la présence d’une certaine normativité. Depuis Hume au<br />

moins, il est largement admis que les normes sont étrangères au monde des<br />

faits, c’est-à-dire au monde des sciences de la nature. Or, indépendamment<br />

de l’analyse brentanienne, il est facile de vérifier que pensée et langage comportent<br />

un élément normatif. C’est ce qu’implique le fait que nos jugements<br />

puissent être, selon les cas, vrais ou faux. « Voici un chien », par exemple, est<br />

un jugement vrai si on l’énonce en désignant un chien, mais il est faux si c’est<br />

en désignant un chat. Or, une telle différence ne peut s’expliquer que s’il y<br />

a une bonne et une mauvaise applications du mot « chien » ou du concept<br />

CHIEN. La connexion entre téléologie et normativité est immédiate. Le mot ou<br />

le concept doit être appliqué à ce qu’il vise, en l’occurrence ici un membre de<br />

l’espèce des chiens, pour pouvoir donner lieu à un jugement vrai.<br />

Il semblait difficile d’arriver jamais à surmonter de telles différences. C’est<br />

pourquoi Quine, au début des années 1960, est amené à formuler le dilemme<br />

suivant 3 : « Nous pouvons accepter la thèse de Brentano « de l’irréductibilité<br />

des constructions intentionnelles » et l’interpréter soit comme la preuve que<br />

les constructions intentionnelles sont indispensables et qu’il est important<br />

d’avoir une science autonome de l’intention, soit comme la preuve que les<br />

constructions intentionnelles manquent de fondement et qu’une science<br />

de l’intention est vide. Mon attitude, à l’opposé de celle de Brentano, est la<br />

seconde. »<br />

Si Quine affirme ici son refus du dualisme brentanien, il reconnaît en même<br />

temps, implicitement, qu’on n’a pas encore vraiment trouvé comment s’en<br />

défaire. C’est ce défi que, vingt ans plus tard, des philosophes comme Millikan,<br />

Papineau ou Dretske entendront relever en faisant appel aux fonctions biologiques.<br />

Une propriété remarquable de ces dernières explique l’intérêt qu’allait<br />

leur porter ces philosophes. <strong>Les</strong> fonctions biologiques typiques, celles qu’on<br />

attribue à des organes comme le cœur ou le rein, véhiculent quelque chose<br />

de téléologique et de normatif. Ainsi, dire que le cœur a la fonction de pomper<br />

le sang revient, semble-t-il, à affirmer qu’il a pour fin de pomper le sang.<br />

C’est ce qu’il est censé faire. S’il ne le fait pas, ou le fait mal, on jugera qu’il<br />

3. Quine, Word and Object, MIT Press, 1960, p. 307.

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