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Les mondes darwiniens

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[pa s c a l picq / les dessous de l’hom i n isation]<br />

faute à Darwin, ni aux éthologues, ni aux évolutionnistes et, surtout pas, pour<br />

embêter – dans une vraie acception de ce terme – les sciences humaines, la<br />

philosophie et la théologie.<br />

La « Thèse » de l’exception humaine recoupe une autre exception, celle des<br />

sciences humaines qui fondent leur légitimité sur une distinction paradigmatique<br />

avec les sciences de la nature. Il convient ici d’apporter une précision<br />

utile. L’idée d’une science de l’Homme détachée de toute théologie émerge<br />

au xviii e siècle, notamment avec Rousseau pour l’anthropologie culturelle et<br />

Buffon pour l’anthropologie physique. L’affirmation des sciences de la nature,<br />

de la biologie donc et des théories de l’évolution, facilitent la naissance de<br />

l’anthropologie, dont les trois piliers – la préhistoire, l’ethnologie et l’anthropologie<br />

physique – se constituent dans les années 1860, après la publication de<br />

L’Origine des espèces par Charles Darwin, ce qui n’est pas sans rapport. À cet<br />

égard, on peut parler de « naturalisation » de l’Homme. Cependant, les sciences<br />

humaines restent fortement marquées par différentes traditions philosophique<br />

et, surtout en France, très réticentes à la « naturalisation » de l’Homme,<br />

à toute « biologisation », ce qui nous ramène une fois de plus à la question<br />

de nos origines communes avec les grands singes lorsqu’on aborde des sujet<br />

comme l’outil, la culture, la communication symbolique, la vie sociale… En<br />

fait, l’hominisation, qui ne regarde que l’achèvement de l’évolution en ignorant<br />

ce qui précède ou, plus exactement, ce qui est « à côté » d’un point vue<br />

phylogénétique, se retrouve devant ses propres paradoxes. Cela donne lieu a<br />

des prises de position vraiment étranges (pour les scientifiques et quelques<br />

paléoanthropologues). Puisque l’Homme se détache de toute animalité – dont<br />

on attend depuis des siècles une définition positive – et puisque, selon une<br />

croyance aussi archaïque qu’infondée qui postule que le cosmos est constitué<br />

d’un ensemble complet et immuables de formes – comme l’échelle des êtres<br />

ou scala naturæ –, dès qu’on annonce que des grands singes, comme les<br />

chimpanzés, fabriquent et utilisent des outils et inventent des (proto) cultures,<br />

cela est ressenti comme une profonde blessure, comme si on retirait l’outil<br />

et la culture à l’Homme. Curieux raisonnement à l’encontre des espèces les<br />

plus proches de nous dans la nature actuelle, mais aussi envers celles qui<br />

l’étaient dans un passé récent, comme les hommes de Néandertal. (Quand il<br />

fut fermement établi par les préhistoriens que les Néandertaliens enterraient<br />

leurs morts, on en a fait des Homo sapiens neanderthalensis, une sous-espèce<br />

de notre espèce, car on ne pouvait pas concevoir que deux espèces d’hommes<br />

biologiquement différentes aient le même humanité ; une fois de plus,

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