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Les mondes darwiniens

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[gu i llau m e lecoi ntr e / filiation]<br />

la descendance commune ? On n’hérite pas de sa descendance ! Peuvent-ils<br />

guider la classification, laquelle se fonde sur la communauté d’ascendance (et<br />

non pas la communauté de descendance) ? Le naturaliste qui doit classer des<br />

espèces ne dispose pas de la descendance desdites espèces ! Cette traduction<br />

installe donc une confusion chez les francophones. Pire, cette confusion<br />

mélange deux approches scientifiques courantes des sciences naturelles : les<br />

« patterns » (science des patrons) et les « processes » (science des processus).<br />

Si l’on travaille en sciences des processus, c’est-à-dire que l’on met en évidence<br />

expérimentalement des relations de cause à effet, le « descent with modification<br />

» est le processus par lequel les espèces dérivent les unes des autres<br />

et se transforment au cours du temps. Il se déroule dans le temps biologique,<br />

du passé vers le présent ou du présent vers le futur. La science des processus,<br />

sachant la cause, prédit l’effet. Lorsqu’un naturaliste possède en mains des<br />

espèces à classer, ce n’est pas cette science-là qu’il peut mobiliser. Le naturaliste<br />

classificateur possède les effets en mains (le partage des attributs entre espèces)<br />

et doit en inférer la cause (ascendance commune ou convergence ?). Si l’on<br />

se place dans les sciences des patrons, au sein desquelles il s’agit de structurer<br />

et d’interpréter l’agencement des entités de la nature, alors Darwin nous dit<br />

que le partage des caractères 5 doit être parié, en première instance, comme<br />

étant dû à l’ascendance commune (et non à la descendance commune !) et<br />

que cet agencement doit être guidé par les degrés d’affiliation résultant du<br />

passé. Sachant les effets (le partage des caractères), le classificateur en infère<br />

la cause (tel caractère est obtenu chez ces espèces par ascendance commune,<br />

tel autre caractère est obtenu chez telles autres espèces par convergence). La<br />

généalogie du vivant doit donc être considérée par le naturaliste à rebours du<br />

processus biologique, si le naturaliste veut parvenir à ses fins. Fait remarquable<br />

mais somme toute assez logique, la communauté d’ascendance n’a même pas<br />

besoin qu’on lui ajoute « avec modification ». La communauté d’ascendance<br />

postulée implique la modification. Prenons un chat et un chien. Tous deux ont<br />

une truffe et des poils. D’où vient le partage de cette truffe et de ces poils ?<br />

Trois hypothèses s’offrent à nous. (i) Ils les partagent parce que Dieu le leur a<br />

donné. Mais cela ne rentre plus dans le contrat intellectuel que les scientifiques<br />

ont collectivement passé avec les connaissances depuis la fin du xviii e siècle,<br />

5. Sur la notion de caractère, en phylogénie contemporaine, cf. Barriel, ce volume.<br />

(Ndd.)

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