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Les bamakois diplômés de Paris

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distinction révèle une hiérarchie interne au cercle <strong>de</strong>s femmes basée, elle aussi, sur<br />

l’âge 1 .<br />

Notons ensuite que le repas est consommé à la main dans un plat unique 2 . La<br />

disposition en cercle autour du « bol » place à égale distance les acteurs et, du même<br />

coup, exclut la mise en avant d’un membre <strong>de</strong> la famille en particulier. Si l’usage <strong>de</strong>s<br />

assiettes peut être interprété comme le signe d’une individualisation, le « bol », quant<br />

à lui, semble être l’expression con<strong>de</strong>nsée <strong>de</strong> l’ « idéologie communautaire ». Il<br />

incarne les valeurs <strong>de</strong> solidarité et <strong>de</strong> partage déjà évoquées par Amadou. Cependant,<br />

dans les faits, il y a une division subtile <strong>de</strong>s parts <strong>de</strong> nourriture : « on mange ce que<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

1 Dans un autre contexte, Aminata et Djénéba donne un autre exemple <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> séniorité qui<br />

s’établissent entre sœurs :<br />

[Bamako, le 10.12.07] Nous sommes, ma compagne et moi, chez les Diakité, voisins <strong>de</strong> quartier.<br />

Aminata, la fille aînée <strong>de</strong> la famille, âgée <strong>de</strong> 19 ans, nous propose <strong>de</strong> visiter sa chambre. Nous<br />

acceptons et elle nous invite <strong>de</strong> ce pas à découvrir son espace : un lit <strong>de</strong>ux places, <strong>de</strong>s posters <strong>de</strong> stars<br />

occi<strong>de</strong>ntales et <strong>de</strong> footballeurs maliens fixés aux murs bleus et noirs <strong>de</strong> poussière, une armoire fermée<br />

à clé, une étagère à trois étages supportant <strong>de</strong>s chaussures à talon, une table <strong>de</strong> nuit transformée en<br />

étal <strong>de</strong> produits <strong>de</strong> beauté. Je m’installe sur le rebord du lit, ma compagne sur la chaise qui vient d’être<br />

apportée par Diaby, la petite sœur d’Aminata. Ces <strong>de</strong>ux autres soeurs ca<strong>de</strong>ttes se placent à ma gauche<br />

et à ma droite. Aminata semble agitée, apparemment fière <strong>de</strong> nous faire découvrir sa chambre.<br />

David : « Et tu es seule ici <br />

Aminata : Non, mes <strong>de</strong>ux sœurs dorment dans la chambre, on tire un matelas pour elles et elles<br />

dorment par terre.<br />

David :Elles ne dorment jamais avec toi <br />

Aminata :Non, quand je me marierai seulement, la chambre sera à elles. »<br />

Aminata ouvre l’unique armoire <strong>de</strong> la chambre systématiquement fermée à clé. Elle empêche ainsi<br />

ses sœurs d’accé<strong>de</strong>r à ses habits, sa propriété exclusive. Elle en sort trois albums photos. « C’est <strong>de</strong><br />

coutume à Bamako » ai-je envie <strong>de</strong> dire » […]. <strong>Les</strong> photos sont toujours les mêmes : mariages, petits<br />

amis, famille…<br />

Plusieurs fois, Djénéba exécute les ordres <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong> sœur : eau, ventilateur, gâteaux, chaise. Sans<br />

rien dire, Djénéba se plie à la volonté <strong>de</strong> son aînée. Le rapport <strong>de</strong> séniorité, entre sœurs, est vivace.<br />

Dans la chambre, la seule véritable propriété <strong>de</strong> Djénéba est une boîte à bijoux qu’elle montre à ma<br />

compagne.<br />

« Tu ne souris jamais sur les photos », dit Djénéba à sa gran<strong>de</strong> sœur en parcourant un <strong>de</strong>s albums<br />

photos. « Je ne suis pas belle quand je souris », répond Aminata. « Toute personne est belle quand elle<br />

sourit », rétorque la petite sœur. Aminata est vexée, remise en place par sa petite sœur.<br />

2 Manger avec la main droite est une habitu<strong>de</strong> qui s’acquiert dès les premières années <strong>de</strong> l’existence.<br />

Ainsi, ai-je pu observer une jeune fille, âgée tout au plus d’un an et <strong>de</strong>mi, n’utiliser que sa main droite<br />

pour piocher la nourriture dans le plat commun. La facilité avec laquelle elle se débrouillait m’a<br />

d’autant plus fasciné que, gaucher, je n’ai jamais réussi à me servir correctement <strong>de</strong> ma main droite.<br />

Prendre la quantité <strong>de</strong> riz suffisante, former dans le creux <strong>de</strong> la main et avec les doigts une boule <strong>de</strong> riz<br />

compacte, la placer <strong>de</strong> façon adéquate dans sa main pour pouvoir la porter facilement à la bouche, etc.<br />

Tous ces gestes, qui semblent aller <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt un véritable savoir faire. Et ma gaucherie n’a<br />

jamais manqué <strong>de</strong> susciter les moqueries.<br />

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