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Les bamakois diplômés de Paris

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mon père : “Tu as tort“. Papa avait toujours raison. Chaque fois nous disions<br />

: “oui papa, tu as raison“. Nous lui disions après : “Ce que tu as dit est juste,<br />

mais tu ne penses pas qu'il faudrait aussi faire ça ou ça...“. Il regar<strong>de</strong>, il prend<br />

son temps, “Oui, d'accord“. Mais ça sort <strong>de</strong> sa bouche. C'est papa qui l'a dit.<br />

Et moi, je ne serai jamais papa <strong>de</strong>vant mon papa. C'est pourquoi, nos<br />

enfants en profitent quand grand-père il est là. On peut dire que papa est<br />

re<strong>de</strong>venu enfant. Parce que quand le grand-père est là, on est tous re<strong>de</strong>venu<br />

enfants. On est ses cinq enfants. [...] Tu as remarqué, dans les langues<br />

africaines, on n’a pas la notion <strong>de</strong> l'oncle ou <strong>de</strong> la tante. Quelqu'un qui<br />

partage mon espace qui n’est pas mon père, s'il est plus âgé que mon père, je<br />

l’appelle “papa grand“ ; s’il est moins âgé que mon père, je l’appelle “papa<br />

petit“ ; pareil pour maman, c’est “maman gran<strong>de</strong>“ ou “maman petite“. Ici,<br />

<strong>de</strong>puis l'immigration, les enfants résument ça à “tonton“. » Amadou 1 .<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Amadou donne ici plusieurs indices sur la façon dont les relations familiales se<br />

structurent. Pour lui, la hiérarchie <strong>de</strong>s rangs est claire : aux échelons supérieurs se<br />

trouvent les hommes et aux échelons inférieurs, les femmes et les enfants. On voit<br />

d’emblée apparaître un thème classique <strong>de</strong> la sociologie <strong>de</strong> la famille qui est celui <strong>de</strong><br />

la différenciation genrée. À cette différenciation correspond « une distribution<br />

inégale <strong>de</strong>s droits et <strong>de</strong>s privilèges, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs et <strong>de</strong>s responsabilités, <strong>de</strong>s valeurs<br />

sociales et <strong>de</strong>s privations, du pouvoir social et <strong>de</strong>s influences 2 ».<br />

Le statut d’homme et le statut <strong>de</strong> femme, auquel on accè<strong>de</strong> pleinement en<br />

<strong>de</strong>venant père ou mère, sont à leur tour divisés en classe d’âge : les aînés et les ca<strong>de</strong>ts<br />

d’un côté, les aînées et les ca<strong>de</strong>ttes <strong>de</strong> l’autre. Comme le souligne Amadou, ce système<br />

<strong>de</strong> parenté classificatoire est soutenu par un système d’appellation qui désigne la<br />

situation relative <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres 3 .<br />

1 Amadou occupe une place singulière dans l’investigation parce qu’il est extérieur au groupe<br />

d’interconnaissance formé par les personnages <strong>de</strong> cette enquête. Rencontré en 2004, il était à ce<br />

moment l’un <strong>de</strong>s responsables <strong>de</strong> l’association Afrique Conseil à <strong>Paris</strong>. Titulaire d’un diplôme en<br />

biologie cellulaire obtenu à Bamako (bac +5), il est contraint <strong>de</strong> quitter le Mali pour <strong>de</strong>s raisons qu’il a<br />

souhaité gar<strong>de</strong>r secrètes : « Considère-moi comme un expatrié ». Toujours est-il qu’Amadou poursuit<br />

avec les autres membres <strong>de</strong> l’association un double objectif : ai<strong>de</strong>r les migrants « africains » dans leurs<br />

itinéraires migratoires (apprentissage <strong>de</strong> la langue française, soutien psychologique, ai<strong>de</strong><br />

administrative) et se rendre visible aux yeux <strong>de</strong>s « accueillants ». Aussi, le rôle d’Amadou est-il<br />

« d’intervenir auprès <strong>de</strong> tous les organismes ou toutes les personnes qui veulent en savoir plus sur la<br />

culture africaine ».<br />

2 Pitirim Aleksandrovich Sorokin, Social mobility,New York, Harper and Brother, 1927 ; réedition sous<br />

le titre <strong>de</strong> Social and cultural Mobility, Glencloe, The Free Press, 1959, p.11.<br />

3 Mais « l’i<strong>de</strong>ntité d’appellation ne signifie pas i<strong>de</strong>ntité absolue <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s. […] Elle fournit le cadre à<br />

l’intérieur duquel l’individu se meut avec aisance ». Louis-Vincent Thomas, « Généralité sur<br />

l'ethnologie négro-africaine », Encyclopédie <strong>de</strong> la Pléia<strong>de</strong>, Vol 1, <strong>Paris</strong>, Gallimard, 1972, p. 255.<br />

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