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Les bamakois diplômés de Paris

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ou « Diallo ! Diallo ! » ou « Cissé ! Cissé ! » car ce n’est pas un individu isolé que l’on<br />

salue, mais à travers lui toute la lignée <strong>de</strong> ses ancêtres 1 ».<br />

<strong>Les</strong> salutations permettent l’accès mutuel entre individus. Et pour Demba, cet<br />

accès a été « ouvert » par une poignée <strong>de</strong> mains et, surtout, par la proclamation <strong>de</strong><br />

son « origine authentique 2 ».<br />

Cela me conduit à formuler une <strong>de</strong>rnière remarque à propos du patronyme. Elle<br />

concerne l’anonymat <strong>de</strong> mes interlocuteurs. Bien évi<strong>de</strong>mment, les prénoms et les<br />

noms <strong>de</strong> famille ne sont pas ceux <strong>de</strong>s personnes mises en scène dans cette enquête.<br />

Ainsi ai-je appliqué la règle déontologique du respect <strong>de</strong> la vie privée qui prévaut<br />

dans les travaux en sciences humaines. Mais plusieurs enquêtés se sont étonnés <strong>de</strong><br />

cette pratique ou m’ont fait part <strong>de</strong> leur incompréhension. En témoigne, par exemple,<br />

cet extrait d’entretien avec Youssouf :<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Youssouf : « Mais ça sert à quoi si tu ne mets pas notre nom <br />

David : C’est pour protéger la vie privée.<br />

Youssouf : Pour protéger la vie privée Non. Tu connais l’importance du<br />

nom <strong>de</strong> famille chez nous… C’est notre histoire que tu racontes, non [Je<br />

réponds d’un hochement <strong>de</strong> tête affirmatif] Bah alors tu mets nos noms,<br />

parce que quelque part en parlant <strong>de</strong> nous, tu parles <strong>de</strong> nos familles. […] Tu<br />

n’as même pas besoin <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aux autres, je suis sûr qu’ils sont<br />

d’accord avec moi.»<br />

Pour cet interlocuteur, voir apparaître les patronymes <strong>de</strong>s enquêtés dans le texte<br />

final est une façon <strong>de</strong> mettre leurs noms à l’honneur et, par voie <strong>de</strong> conséquence,<br />

d’honorer leurs familles 3 .<br />

Ces quelques considérations à propos du nom <strong>de</strong> famille n’épuisent pas toutes<br />

les significations sociales qui lui sont attachées. Mais elles donnent à voir un aspect<br />

1 Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel, L’enfant Peul, Mémoires (I), <strong>Paris</strong>, Actes Sud, Babel, [1991], 1992,<br />

p. 19.<br />

2 Op.cit., Cissé, 1970, p. 125.<br />

3<br />

Dans un tout autre contexte, David Lepoutre, dans son enquête auprès <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong>s banlieues,<br />

relève lui aussi cette mise en cause <strong>de</strong> l’anonymat par certains <strong>de</strong> ses interlocuteurs. Il écrit : « Il n’est<br />

pas jusqu’au travail <strong>de</strong> l’ethnographe lui-même qui ne se trouve impliqués dans ces pratiques<br />

d’affirmation du nom, puisque, amené un jour ou l’autre à publier ses travaux, il aurait la possibilité<br />

théorique <strong>de</strong> donner, si ce n’est la célébrité, du moins une notoriété potentielle aux êtres dont les<br />

existences, en l’occurrence anonymes, font la matière <strong>de</strong> ses thèses. […] Plusieurs fois, je me suis<br />

heurté à <strong>de</strong>s adolescents à qui j’expliquais cette règle [<strong>de</strong> l’anonymat], qui me <strong>de</strong>mandais au contraire<br />

<strong>de</strong> laisser leur vrai nom dans le texte, trop contents d’imaginer pouvoir un jour être racontés ou cités<br />

dans un livre. » Op.cit., Lepoutre, 2001, p. 369.<br />

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