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Les bamakois diplômés de Paris

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« Chez nous, c’est comme ça entre les Diarra et les Dembélé. On<br />

peut s’insulter, insulter nos parents même, ça ne fait rien. On ne<br />

se fera jamais <strong>de</strong> mal. »<br />

Je lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors si M. Diarra peut l’insulter en retour ; question à<br />

laquelle il me répond :<br />

« Oui, il peut m’insulter aussi, ça ne fait rien. »<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

Cette scène est une illustration <strong>de</strong> ce qui est appelée la « parenté à<br />

plaisanteries » 1 , laquelle « […] se reconnaît à l’obligation <strong>de</strong> plaisanter, voire <strong>de</strong><br />

s’insulter grossièrement entre alliés, sans en tirer motif <strong>de</strong> querelle ; il s’agit moins<br />

d’un groupement que d’une relation à l’intérieur <strong>de</strong> groupes 2 ». Mais c’est surtout<br />

l’influence du diamu sur le cours <strong>de</strong> l’interaction qui doit être soulignée. Elle révèle<br />

non seulement la structure clanique <strong>de</strong>s sociétés ouest-africaines, mais elle montre<br />

également que le patronyme lie, <strong>de</strong> façon indéfectible, la personne au lignage qui est<br />

le sien.<br />

Cette mise en avant du patronyme existe également dans les échanges <strong>de</strong><br />

salutations entre pairs. À <strong>Paris</strong>, et en ce qui concerne le groupe d’interconnaissance<br />

rencontré, j’ai observé que certains rituels <strong>de</strong> reconnaissance passent par la<br />

valorisation du nom <strong>de</strong> famille.<br />

[<strong>Paris</strong>, le 16.06.2006] Comme à l’accoutumé, Mamadou, Yaya, et moi<br />

causons à la terrasse du Bon Pêcheur à Châtelet, « notre QG ». […]Après une<br />

1 « Joking relationships » est l’expression originale que l’on doit à Robert Harry Lowie [Lowie, 1912].<br />

Elle a été traduite par « parentés à plaisanteries » par Marcel Mauss en 1928. Pour les auteurs<br />

« classiques », les parentés à plaisanteries ont une fonction « <strong>de</strong> stabilité dans les sociétés africaines »<br />

[Amselle, 2008, p.9]. Alfred Reginald Radcliffe Brown, par exemple, écrit qu’une « relation<br />

comportant l’échange d’insultes ainsi que l’obligation <strong>de</strong> ne pas les prendre au sérieux est la seule qui,<br />

au moyen <strong>de</strong> ces conflits simulés, évite les conflits réels » [Radcliffe Brown, 1968, p.177]. Marcel<br />

Griaule, quant à lui, s’est intéressé à l’ « alliance cathartique » entre Bozo et Dogon. Cette étu<strong>de</strong> a<br />

notamment mis en évi<strong>de</strong>nce l’interdit <strong>de</strong> mariage et le pacte <strong>de</strong> sang comme « composantes<br />

fréquemment utilisées <strong>de</strong>s alliances à plaisanterie » [Smith, 2004, p. 159]. Récemment, Marie-Au<strong>de</strong><br />

Fouéré a renouvelé la conception classique <strong>de</strong>s relations à plaisanteries. Dans une perspective<br />

politique et historique, elle a montré que ces relations sont aussi révélatrices <strong>de</strong> relations <strong>de</strong> pouvoir<br />

intrafamiliales, interlignagières et interclaniques. Robert Harry Lowie, Social Life of the Crow Indians,<br />

New York, AMS Press, 1912 ; Marcel Mauss, « Parentés à plaisanteries », Annuaire <strong>de</strong> l’École Pratique,<br />

<strong>de</strong>s Hautes Étu<strong>de</strong>s, Section <strong>de</strong>s Sciences Religieuses, <strong>Paris</strong>, 1928, pp. 3-21 ; Jean Loup<br />

Amselle, préface du livre <strong>de</strong> Marie-Au<strong>de</strong> Fouéré, <strong>Les</strong> relations à plaisanteries en Afrique, discours<br />

savant et pratiques locales, <strong>Paris</strong>, L’Harmattan, Connaissance <strong>de</strong>s hommes, 2008 ; Arnold<br />

Réginald Radcliffe-Brown, « Note conjointe sur les parentés à plaisanteries », dans Structure et<br />

fonction dans la société primitive, <strong>Paris</strong>, Minuit, 1968, p.177 ; Marcel Griaule, « L’alliance cathartique<br />

», Africa, Vol. 18, 1948 ; Etienne Smith, « <strong>Les</strong> cousinages <strong>de</strong> plaisanterie en Afrique <strong>de</strong> l'Ouest »,<br />

Raisons politiques, n°13, 2004 ; Marie-Au<strong>de</strong> Fouéré, <strong>Les</strong> relations à plaisanteries en Afrique, discours<br />

savant et pratiques locales, L’Harmattan, Connaissance <strong>de</strong>s hommes, 2008.<br />

2 Louis-Vincent Thomas, « Généralité sur l'ethnologie négro-africaine », Encyclopédie <strong>de</strong> la Pléia<strong>de</strong>,<br />

Vol 1, <strong>Paris</strong>, Gallimard, 1972, p. 260.<br />

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