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Les bamakois diplômés de Paris

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Le témoignage suivant va me permettre d’illustrer ce point. Nous sommes en<br />

2005, Zoumana, <strong>bamakois</strong> d’origine et titulaire du baccalauréat, est sans-papier<br />

<strong>de</strong>puis plusieurs mois. Âgé d’une trentaine d’années et malinké, il raconte son<br />

expérience d’hébergement au sein d’un foyer soninké du XIIIe arrondissement <strong>de</strong><br />

<strong>Paris</strong> :<br />

tel-00708235, version 1 - 14 Jun 2012<br />

« Tu sais, <strong>de</strong>s fois, ici, on est mal aimé dans les foyers. Parce que nous, on<br />

n’est pas sarakolé. Quand tu vis avec <strong>de</strong>s sarakolés, c’est dur. […] Ils te<br />

disent que “c’est grâce à eux si on est là “. Parce que c’est les pionniers ici en<br />

France qu’ils disent ça… Tu vois, dans <strong>Paris</strong>, tous les foyers sont <strong>de</strong>s foyers<br />

sarakolés, tous ! Peut être que ceux qui sont nés à Bamako même, ça passe.<br />

Mais s’ils sont nés au village, ils disent que “tu es un bâtard“ ! On peut dire<br />

que c’est <strong>de</strong>s “racistes“ en un mot. […] Des fois je viens dormir ici [dans le<br />

foyer du XIIIe, non loin du café dans lequel nous réalisons l’entretien], je vais<br />

dans le local en haut, pas dans une chambre, dans un local à côté <strong>de</strong> la<br />

cuisine. Bon, il y a <strong>de</strong>s vieux qui sont là et qui ne veulent pas qu’on vive ici.<br />

La nuit ils viennent, ils te disent : “Lève-toi !“. Il est 4 heures du matin, tu ne<br />

peux rien dire, parce que : un, ils ont les papiers, <strong>de</strong>ux ils sont plus vieux que<br />

toi, trois, ils sont Sarakolés. Ils sont là <strong>de</strong>puis plus longtemps que toi. Bon, tu<br />

te réveilles il est quatre heures du matin. Tu prends le café qu’ils t’ont fait<br />

juste pour te réveiller…. Imagine-toi, tu as le boulot le len<strong>de</strong>main, et à trois<br />

heures du matin, ils viennent, ils te font le café pour te réveiller et ils mettent<br />

les matelas <strong>de</strong>hors puis ils ferment la porte du local. Ils font ça aussi<br />

pendant que tu es au boulot. Toi, tu rentres du boulot, tu <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s : “ Où es<br />

mon matelas “. Ils vont dire que c’est le gérant qui l’a rangé, que eux ils ne<br />

savent pas. Mais les foyers sarakolés, c’est parce que c’était les premiers ici.<br />

Ils sont venus plus nombreux… Alors que nous, avant <strong>de</strong> venir ici, on fait<br />

l’école d’abord à Bamako. C’est la gran<strong>de</strong> différence. » Zoumana.<br />

Dans cette déclaration, on retrouve les principes <strong>de</strong> distinction énoncés plus<br />

haut avec les catégories d’opposition sarakolé/non sarakolé, rural/urbain, non<br />

diplômé/diplômé. Selon cet interlocuteur, ces principes constituent autant <strong>de</strong> motifs<br />

d’exclusion du foyer. Pour le dire différemment, ceux qui ne sont pas i<strong>de</strong>ntifiés<br />

comme semblables aux résidants <strong>de</strong>s foyers n’y ont pas leur place.<br />

Mais Zoumana évoque <strong>de</strong>ux autres éléments constitutifs <strong>de</strong> cette domination<br />

soninké : leur supériorité numérique (« ils sont venus plus nombreux ») et leur<br />

ancienneté d’installation à <strong>Paris</strong> (« parce que c’est les pionniers», « ils te disent que<br />

“c’est grâce à eux si on est là“ »). Cela ne va pas sans rappeler l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Norbert Elias<br />

et <strong>de</strong> John L. Scotson sur la relation entre <strong>de</strong>ux groupes ouvriers d’une petite ville<br />

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